Liberté

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Levi cherchait un costume assez classe pour présenter un travail de fin d'études, mais pas trop tiré à quatre épingles. Il détestait la sensation de la chemise qui lui collait au torse. Il se sentait chanceux de ne pas devoir défendre son mémoire vers la fin de l'année, il préférait passer dans les premiers pour annoncer la couleur au jury. Depuis trois ans déjà, il préparait ce travail qui s'était basé sur une seule et simple question : « Peut-on renoncer à sa liberté ? ». Inutile de préciser que Levi poursuivait des études de philosophie.

Peut-on y renoncer ? La réponse qu'il avait ficelée était abyssale. Oui et non. Nuances de liberté, Socrate, Epicure, et tout le toutim. Levi avait donné son corps et son âme à ce travail. Il avait passé des heures sur son petit écran d'ordinateur, avait bouquiné des dizaines de bibliothèques, interrogé quatre ou cinq professeurs et probablement vendu un de ses reins en chemin. Pas grand-chose pour réussir de longues, très longues, années d'études, en somme. Mais peu lui importait, désormais. Le jour-J était arrivé. Il en avait fini de se lever tôt, fini d'étudier en ayant les yeux desséchés, fini de voler des stylos parce que « désolé, j'ai mangé le mien». La fin justifie les moyens. Ou plutôt la faim, diriez-vous. Encore fallait-il réussir cette épreuve orale. Et ça, ce n'était pas gagné d'avance. Levi n'avait jamais réellement été impliqué en cours. Il avait toujours réussi moyennant une note plus que passable, assez banale pour que les professeurs ne s'intéressent pas à lui mais pas trop basse que pour frôler le décrochage scolaire. Il donnait suffisamment pour impressionner ses parents, voilà tout. Ils étaient les seules personnes qu'il voulait satisfaire, de toute manière. Parce qu'il les aimait plus que tout mais encore bien trop peu, il devait se surpasser. Sortir de la zone de confort qu'il s'était bâtie. Se transformer, muter, mûrir. « Vous gâtez trop votre enfant », avait-il entendu lorsqu'il n'était qu'un bambin. En effet, il avait été gâté. Et c'était désormais son tour de gâter ses parents, avec une note en or et un diplôme à encadrer !

Il sourit en imaginant la joie se dessiner sur les visages de ses parents. En les entendant se vanter auprès de la famille. En les voyant acheter trop de cadres parce qu'aucun ne sera assez beau que pour contenir le savoir sans limite de leurs fils adoré. Il devait être à la hauteur. Non pas pour lui, mais pour eux.

Levi posa devant le miroir. Une main dans la poche, le veston un peu en arrière, contre son coude. Il prit un regard ténébreux qu'il travailla pendant de longues minutes dans l'espoir de se sentir beau. En vain. Il se sentait aussi joli qu'un épi de maïs écrabouillé.

Son portable indiquait onze heures et huit minutes. Il savait pertinemment que quelque part dans le monde, une personne pourrait remonter son estime de lui. Mais il se ravisa. Il était hors de question de contacter Eren. Pas après l'humiliation qu'il avait subie presque deux mois plus tôt. Et, bien sûr, il avait menti. Il ne parlait à aucun grand musclé. Du moins, pas depuis ses rêves émoustillés de la nuit. En somme, personne pour le réconforter avant son épreuve. Et personne pour le rassurer sur la beauté qu'il ne parvenait pas à trouver sur son visage.

Midi. Il était l'heure pour Levi de se mettre en route et d'aller présenter ce foutu travail qu'il promenait sous l'épaule comme un boulet. Séance photo avec sa mère, son père, son chat et le bocal du poisson, puis il put enfin mettre le contact et enfoncer son pied sur la pédale.

Les couloirs empestaient la transpiration. Tous les élèves de dernière année relisaient leurs travaux, feuilletaient des bouquins, et carburaient au café noisette. Pas de chance pour Levi, il n'y en avait plus. C'est à son plus grand désespoir qu'il sélectionna le thé noir.

-Tu es prêt ?

-Absolument pas.

-Mon décolleté, tu en penses quoi ?

Hanji tournoyait sur elle-même. Levi trouva cette manœuvre ridicule puisque selon sa question, il devait se concentrer uniquement sur sa poitrine. Il fronça les sourcils et essaya de trouver un commentaire pas trop méchant.

-Disons que si tu veux aguicher le jury, c'est réussi, ricana-t-il.

-C'était exactement mon envie.

-Tu restes quand même très belle.

Elle le câlina en guise de remerciement. Il ne mentait pas, Hanji était magnifique. Il en pinçait secrètement pour elle. Ou pas très secrètement, tout compte fait.

-Il n'est pas si dégueulasse, ce thé.

-Tu me dégoûtes, Levi.

L'un des professeurs titulaires cria le nom le Levi. Il entra, présenta, sortit. Trente minutes de bla-bla contre trois années de recherche. Le tout ne lui semblait pas très équitable.

Il était le dernier à passer de sa classe. Rapidement, un des membres du jury se décida à accrocher la liste des résultats sur le mur défraîchi du bâtiment.

Ackerman.

Réussi. 

O N L I N EOù les histoires vivent. Découvrez maintenant