Chapitre 13. II.

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*

Gretel jeta un dernier regard à cette chambre qui les avait accueilli deux jours durant. Une chambre dans laquelle il s'était passé tant de choses... bonnes comme mauvaises. Cet épisode lui avait semblé être un intermède dans sa vie si chaotique, hors de la traque, hors de la recherche de son frère. Un intermède finit. Elle se détourna, fermant la porte derrière elle. Jamais elle n'y retournerait.

La traque reprenait.

Refermant son manteau sur elle, elle s'assura que les pans dissimulaient bel et bien son arme. Puis elle rejoignit Blanche qui terminait de régler les nuits d'hôtel avec la vieille gérante. Préférant attendre dehors sa comparse, la jumelle sortit, s'asseyant sur un muret. Le soleil était à son zénith, scintillant froidement dans le ciel blanc hivernale. Elle pressa un instant les paupières, laissant les rayons du soleil réchauffer sa peau. Du bout des doigts, elle traçait des runes sur la pierre, rassurée de s'en souvenir. Une rune pour la chance, une autre pour la magie. Des runes pour contrer la sorcellerie. Des crépitements cependant se firent sentir au bout de ses doigts et un mauvais pressentiment s'abattit sur sa poitrine. La magie n'était pas de son côté. Levant la tête, elle frémit. C'était le pire moment pour partir en chasse. La pleine lune approchait, menaçante, et les forces du mal croissaient. Mais elle n'avait pas le choix. Il fallait agir avant que la déesse maléfique soit aussi ronde qu'un ventre qui allait donner la vie : car ce soir-là, ce serait le mal absolu qui verrait le jour. Comme le chantait si bien cette maudite prophétie... Gretel le sentait au plus profond d'elle, son cœur le lui hurlait.

Les bruits de pas sur la neige de Blanche la tirèrent hors de ses pensées et elle sauta de son perchoir. Les deux jeunes femmes prirent le chemin de la forêt. Le bois aux sorcières les attendait... Ne restait plus qu'à le trouver, ce qui serait compliqué au vue de l'étendue de la zone sur laquelle siégeait la sublime forêt noire.

Sans trop savoir pourquoi, leur discussion les mena à évoquer de vieux souvenirs de traques et chasses alors qu'ils étaient encore quatre, formant une équipe de choc : les jumeaux, la princesse et le fils du Patron. Les fléaux de l'ordre comme se plaisaient à les appeler les autres Immortels. La brune, tout en esquivant une crevasse dans le sol de la forêt, s'exclama :

« Tu te rappelles cette fois, en France ?

Le souvenir de ce moment arracha un petit rire à la jumelle qui souffla :

— Impossible d'oublier.

Les quatre faucheurs s'étaient retrouvés dans une auberge, autour d'une table, à dîner et boire. Leur jovialité insouciante les avait poussés à débuter un jeu à boire. L'un d'entre eux affirmait n'avoir jamais fait quelque chose et ceux qui l'avaient au contraire déjà réalisé ou vécu devaient prendre une gorgée du breuvage infecte qui se trouvaient dans leurs choppes.

Quand le tour de Blanche était alors venu, elle avait eu un regard malicieux tout en lâchant :

« Je n'ai jamais couché avec un des membres de ce petit groupe... »

Gretel et Valentin s'étaient regardés, riant aux éclats avant d'entrechoquer leurs choppes de bière. Le jeune homme avait alors attiré à lui la jumelle pour l'embrasser. Geste si naturel dans ce genre d'auberge que personne n'y avait fait attention. La faucheuse aux cheveux argentés y avait alors répondu avant de retourner à sa place sous les rires de ses amis. Le jumeau avait quant à lui mimer de menacer le fils du patron, couvrant d'un regard ampli de tendresse la Faucheuse. Alors qu'elle reprenait une gorgée de sa boisson, son frère s'était soudain levé, faisant volte-face et avait empoigné son arbalète avant de tirer dans un coin sombre de l'auberge.

En plein sur une sorcière qui s'apprêtait à s'emparer d'une petite fille. Là était le véritable objet de leur présence dans cette miteuse auberge. La créature maléfique s'était effondrée au sol et les faucheurs s'étaient levé. Tandis que le jumeau récupérait le corps, Valentin avait pris les choses en main et avait clamé afin d'être entendu de tous « les réjouissances sont finies, merci de sortir sans créer de mouvements de paniques. » Sa prestance suffisait à se faire obéir. Les deux femmes se regardèrent. Leur rôle débutait à présent. Il leur fallait encore interroger la sorcière pour trouver son coven et le détruire. Chose qui avait été faite rapidement après cela.

Blanche secoua la tête.

— Dire que tu étais persuadée que j'aimais ton frère...

— Pour ma défense, c'est Valentin qui avait émis l'hypothèse en premier.

—  Valentin n'est pas doué en ce qui concerne les sentiments des autres.

En effet, mais Valentin était un ange dissimulé sous les traits d'un vilain garçon. C'était là l'essentiel. C'était le pourquoi de l'adoration qu'éprouvait Gretel à son encontre.

— J'aimerai bien retourner en France... fit songeusement la brune.

La jumelle pencha la tête sur le côté. Poussée par elle ne savait quel élan, elle souffla :

— Tu voudrais qu'on y retourne ?

— Depuis quand fais-tu des projets pour le futur.

— C'est ta bonne humeur et ton optimiste surréel qui m'ont contaminée, princesse ! Mais ne t'en fais pas, ça ne durera pas !

Elle lui lança un clin d'œil, dissimulant le pincement au cœur qu'elle ressentait. Elle voulait se traiter d'imbécile. Gretel ne fait pas de projet. Gretel est condamnée... Et pourtant, même en sachant cela, elle désirait espérer. Rêver de liberté.

Juste pour une fois.

Si seulement la mort le lui permettait...

— Quand tout sera fini, nous irons en France... Je te montrerai le monde et ses changements ! Et si tu veux, nous irons en Amérique. Ce continent t'est inconnu après tout !

— Toute cette époque m'est inconnue Blanche...

— Avec moi, plus pour longtemps.

La brune le dit d'un ton si mystérieux rappelant volontairement le timbre de voix de leurs ennemies que la jumelle éclata de rire et répliqua :

— Sorcière !

— Vue ton petit faible pour les sorcières, laisse-moi prendre ça pour un compliment...

Blanche lui tira la langue, moqueuse mais se figea soudain. Toute sa bonne humeur s'envola sur le champ. Devant elle, la forêt semblait se métamorphoser, délaissant son aspect enchantant pour en revêtir un terrifiant : les arbres se dressaient terrifiant, la lumière ne perçait plus, le vent y sifflait, menaçant... Elles y étaient enfin : le bois aux sorcières.

Les deux amantes échangèrent un regard avant d'y pénétrer d'un accord commun. Le danger suintait de chaque recoin et pourtant, Gretel avait l'impression qu'elles y étaient, qu'elles avaient enfin trouvé. Son frère était quelque part dans ce bois. Et le mal aussi.

Sur leurs gardes, les faucheuses évoluaient dans le bois, armes au poing. L'endroit semblait vidé de toute vie et pourtant elles ne pouvaient s'empêcher de se sentir observées. Une sensation si désagréable que la faucheuse aux cheveux gris frissonna. En elle, quelque chose s'extasiait de sa présence ici. Nous y sommes presque, murmuraient les voix. Presque ? Presque où ? Presque quoi ?

Nous ne voulons pas savoir la vérité. Nous t'avons protégée. Pourquoi vouloir absolument y aller ? Fuis...

Gretel fronça soudain des sourcils. Un craquement sinistre attira son attention et poussée par l'instinct, elle bondit sur le côté. Un arbre se brisa brutalement et s'effondra à l'endroit même où elle se trouvait une seconde plus tôt. La force de l'impact la projeta la jumelle sur plusieurs mètres et elle se retrouva dans un fossé. Les ronces s'accrochèrent à ses vêtements comme des doigts tordus qui voulaient la retenir et ne plus la relâcher. Elle recracha violemment la terre qui s'était infiltrée dans ses poumons, à deux doigts de vomir de douleur. Gretel a si mal... Gretel était prévenue, elle aurait dû fuir ! Pourquoi n'as-tu pas fuis ?

Reprenant ses esprits, elle se releva avec difficulté. Un arbre leur était tombé dessus... Foutu bois !

Elle parvint à se hisser hors du ravin et se précipita vers le lieu de la chute. Gretel blêmit violemment. Le paysage avait de nouveau changé, tour vicieux de ce bois maudit. Tremblante, elle appela :

— Blanche ?

Passant par-dessus le tronc noircit de l'arbre, elle glissa de l'autre côté, s'attrapant de justesse aux branches. Nulle trace de sa compagne. La panique commençait à la gagner et dégainant sa faucille, elle reprit de plus belle :

— Blanche ? »

Ses cris résonnaient dans la forêt mais n'obtenaient aucune réponse. La princesse avait bel et bien disparu !

Les Faucheurs I - Sombre prophétieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant