Chapitre 22

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Lyn a fini par lâcher l'homme à la cicatrice et s'attarde à me tenir compagnie au mini bar. J'en suis à ma troisième bière. Elle, comme à son habitude, en est à son cinquième shot et tient encore parfaitement debout. Elle me parle de philosophie, mais ce n'est pas vraiment ma branche, alors je me contente d'écouter en hochant la tête.

Les informations qui s'emmagasinent dans cette si petite tête sont ahurissantes. Je ne sais pas comment elle fait pour arriver à se rappeler d'autant de choses. Mine de rien, elle possède une intelligence hors du commun.

— C'est comme quand on commence à se poser des questions telles que « qu'est-ce qui se passe si Pinocchio dit que son nez va grandir ? » Forcément, s'il ment, son nez devrait grandir, mais s'il grandit, ce ne sera plus un mensonge, alors il ne grandira pas ! Mais s'il ne grandit pas, ce n'est plus la vérité ! En réalité, on se créer une espèce de paradoxe dans lequel on implique que la vérité soit fausse, et inversement !

Je dévisage Lyn, immobile. Je ne suis pas certaine de savoir comment réagir.

Durant un long moment, elle reste figée à me regarder, les paumes vers le ciel, comme si elle voulait me laisser le temps d'assimiler ce qu'elle vient de me déballer. Puis, elle se remet à parler, pendant que je continue de l'écouter, un peu effrayer.

Je comprends soudainement que la Lyn qui a bu n'est pas maladroite ou gênante; son cerveau n'arrête simplement plus de tourner.

— Je... Je dois aller me rafraichir, la coupé-je, subitement. Tu m'excuses, une minute ?

Elle hoche joyeusement la tête, et se retourne vers un homme qui boit son verre en silence.

Pauvre gars.

Je me dirige vers les toilettes avec l'idée d'y rester le temps qu'elle m'oublie un peu. Cependant, quand je tourne la poignée de la porte, elle est verrouillée. Je me demande quelques instants s'il y a un endroit où je peux aller; un endroit où elle ne me verra pas. Entre temps, je réalise que j'ai réellement envie d'uriner, alors j'attends patiemment devant la porte.

Inconsciemment, je me mets à réfléchir à la théorie de Lyn. Elle a raison; il n'y aura jamais de réponse à cette question... Ou alors, Pinocchio vivrait un combat intérieur qui finirait par le fait imploser.

Ça se tient.

Généralement, je me contente de ne pas me poser ce genre de questions. C'est trop compliqué, et ça détruit un esprit !

Je suis en train de me torturer la cervelle quand Nate apparait, et s'appuie contre le coin du mur face à moi. Il m'observe en silence, avec une paix intérieure que je lui connais trop bien. Il s'est changé. À en juger par la chemise un peu trop grande, je dirais qu'il a rapporté l'accident à Paul, qui lui a prêté un vêtement.

— Je suis désolé, finit-il par dire. Je n'aurais pas dû insister.

Je fronce les sourcils, surprise. Nate qui me fait ses excuses... encore une fois. Je me demande ce qui a bien pu le persuader de laisser tomber.

Les bras croisés sur ma poitrine, j'essaie de lui faire comprendre que je ne suis pas apte à lui donner la discussion qu'il souhaite avoir avec moi. Lorsqu'il fait un pas devant, sa posture et le rouge de ses yeux me laissent penser qu'il a bu un peu plus qu'une bière, ce soir...

— J'aimerais que tu... me pardonnes, bégaie-t-il, entre deux hoquets.

Tout ça ne ressemble en rien à l'assurance et la sensualité qu'il a l'habitude de me démontrer. Il a l'air amoché, confus et mal dans sa peau.

— Qu'est-ce que t'as bu ? Demandé-je, soudainement.

En faisant quelques pas vers moi, il pince les lèvres et abaisse la commissure de sa bouche, en signe d'insouciance. Je suis persuadée qu'il n'a même pas la moindre idée de tout ce qu'il a avalé.

LotusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant