5- MISUK

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J'allume la lampe de poche qui se trouve sur la table et commence à faire des ombres d'animaux avec mes mains, comme mon frère me l'avait appris lorsque nous étions jeunes. Alors que j'essaie de faire un canard, une main se rajoute, le transformant en loup. Mes yeux se tournent vers San qui reste concentré sur l'ombre que ses doigts créent. Je ferme la lampe de poche et la pose sur la table d'appoint.
« Désolé de t'avoir réveillé.
- Ce n'est pas toi qui m'as réveillé, me rassure-t-il.
- Tu devrais te recoucher.
- Je ne suis plus fatigué. Ça fait combien de temps que je suis cloué à ce sofa?
- Deux jours, je dirais. Peut-être quelques heures de plus. »

Maintenant assit confortablement, il étire ses bras, faisant tout de même attention à sa blessure.
« Pourquoi es-tu là? me demande-t-il.
- Mingi est épuisé. Je l'ai convaincu d'aller dormir. J'habite près d'ici, de toute façon, je n'ai rien d'autre à faire.
- Tu dis cela comme si la nuit, on était censé faire autre chose que dormir.
- Je ne dors pas beaucoup en général. »

Un court silence emplit la pièce avant qu'il ne le coupe.
« Qui est allé cherché le fauteuil de Wooyoung?
- Yeosang.
- Il est allé en ville? Comment a-t-il fait pour partir? Wooyoung ne l'aurait jamais laissé.
- On s'est éclipsé pendant que tout le monde s'inquiétait pour toi.
- Et vous, vous ne vous inquiétiez pas, souffle-t-il. »

Il ne l'a pas dit sur un ton de reproche, mais plutôt comme une déclaration.
« Je ne te connais pas. Nous sommes des inconnus, je murmure comme pour me justifier.
- C'est vrai. »

Pendant quelques instants, je me sens mal, mais il change rapidement de sujet, allégeant l'ambiance.
« Ça a dû être compliqué à transporter. Ce n'était pas dangereux, en ville?
- Un peu. À deux on s'est débrouillé, nous étions armés.
- C'est vrai, Yeosang est policier. Wooyoung était probablement fâché que vous ayez fait ça pour lui, rigole-t-il.
- Un peu, mais il était surtout reconnaissant.
- Il l'est toujours.
- D'ailleurs, c'est un peu indiscret, mais comment est-ce arrivé? »

Le regard de San s'assombrit.
« De quoi parles-tu?
- Tu le sais. Qu'est-ce qu'il lui est arrivé pour qu'il soit comme ça? Si tu n'en as pas envie, tu n'es pas obligé de me le dire. Je suis juste curieuse. »

Pendant une dizaine de minutes, aucun de nous ne parle. J'en viens à la conclusion que je ne le saurai jamais. Je jette un regard à Wooyoung qui a le cou courbé en une position qui semble inconfortable. Je m'approche de lui et soulève un peu sa tête pour pouvoir y glisser un coussin.
« Tu as faim? je demande ensuite à San.
- Un peu. »

J'ouvre le réfrigérateur et soupire en le voyant pratiquement vide. Je prends alors le bol de riz que Mingi m'avait laissé pour la nuit et le tends à San.
« Mange tranquillement. »

Il fronce les sourcils, mais saisit tout de même la nourriture et mange quelques grains à la fois. Fixant le plafond, il soupire.
« Je connais Wooyoung depuis peut-être deux ans et demi. Je l'ai rencontré au même arbre où je t'ai rencontrée, toi. Il avait fait pareil que tu avais fait. Il avait fixé mes cheveux colorés et mes boucles d'oreilles, sauf que lui, il ne m'avait pas fuit. Il m'avait demandé de lui apprendre des chorégraphies. »

Je devine alors qu'il a été blessé par le fait que je parte directement après avoir conclu qu'il était un Cancer.
« Je ne te fuyais pas, je devais vraiment aller trouver quelqu'un. Mon frère, si tu veux savoir.
- Ça ne me fait plus rien, tout le monde fait pareil. »

C'est vrai que tout le monde regarde les Cancers comme des dieux inaccessibles, mais ils sont humains. Les gens ont souvent peur de les fâcher en disant un mot de travers, ils ont surtout peur des représailles qui sont en réalité inexistantes. Une haute classe sociale ne rend pas nécessairement quelqu'un au-dessus de tout. Ou plutôt, ça ne devrait pas.
« Je t'assure que c'est vrai, San.
- Pourquoi tiens-tu tant à ce que je le sache? Je te dis que je n'en ai rien à foutre.
- Parce que c'est la vérité. »

Son regard se pose sur moi avant qu'il ne le relève vers le platre du plafond.
« Peu importe. Pendant plusieurs mois, je lui ai enseigné des chorégraphies, tous les mardi soirs. Il savait déjà danser. Il a toujours été un bon danseur. Je me rappelle en avoir été surpris. C'est vrai, comment est-ce qu'un professeur aurait su comment danser? Mais ce soir-là, je n'avais pas le cœur à danser. Je m'étais entraîné sur une même musique pendant un mois et le directeur avait conclu que je n'étais pas assez talentueux pour hériter des musiques de l'album qu'il voulait à la base me léguer. J'avais donc demandé à Wooyoung d'aller à la plage pour me changer les idées et il avait accepté sans résistance. Nous n'avions pas de maillot de bain, mais nous avons juste retiré nos chandails pour se baigner. Pour me défouler, j'avais juste nagé du plus vite que je le pouvais. J'étais allé tellement loin que Wooyoung avait eu peur pour moi, mais j'étais rapidement revenu. Il ne s'en était pas rendu compte à cause de l'eau de la mer, mais je pleurais. Il avait tout de même remarqué que je n'étais pas à mon plus fort et m'avais murmuré que ça ne pouvait qu'aller mieux. Il se trompait. »

Je fixais à présent le visage crispé de San. Ses yeux remplis de larmes me montraient la douleur que lui procuraient ces souvenirs.
« Je suis allé m'étendre sur le sable alors qu'il a commencé à grimper sur une paroi rocheuse. Il commençait à faire froid à cause du soleil couchant. Lorsque je m'étais tourné vers lui pour savoir ce qu'il faisait, il était en haut d'une courte falaise. Il regardait le ciel devant lui d'un air que je n'oublierai jamais. Je lui ai demandé de descendre de là parce qu'il y avait beaucoup de roche juste en bas et que l'eau n'était pas profonde. De ne pas sauter parce que c'était dangereux. Et il m'a répondu que ce n'était pas grave parce qu'il n'y avait aucun fan pour se préoccuper de cela. La dernière chose que j'ai dit a été « Je suis ton fan, moi ». Il avait déjà sauté. J'ai dû aller le chercher dans l'eau. Il ne s'était pas évanoui. Je paniquais à la vue du sang, mais il a tenté de me rassurer en me disant que ça allait, qu'il n'avait pas mal. J'avais compris. Depuis ce jour-là, le jour où j'ai refusé de lui enseigner une chorégraphie, il n'a plus jamais eu la chance de danser. »

Sa dernière phrase était remplie de culpabilité. Les mains tremblantes, il détache les trois premiers boutons de sa chemise et laisse apparaître un dessin à l'encre indélébile sur son torse. Une falaise à la droite de laquelle il est écrit Je suis ton fan.
« Ce n'est pas de ta faute, tu lui as même dit de ne pas sauter.
- C'est ce qu'il s'efforce à me convaincre.
- Mais tu n'arrives pas à te pardonner à toi-même, j'affirme puisque je connais trop bien ce sentiment.
- Exactement.
- C'est joli, ce dessin.
- Je voulais me rappeler la portée des mots. Depuis ce jour-là, j'avoue toujours tout ce que j'apprécie chez les autres parce que je sais qu'un simple compliment peut avoir une énorme portée. Un compliment dit à temps peut sauver le rêve de quelqu'un. Les mots peuvent blesser facilement, mais ils peuvent également guérir. Je me suis rendu compte qu'apprécier quelques chose chez quelqu'un n'était pas quelque chose qu'on devrait cacher, mais plutôt quelque chose qu'on devrait exposer. »

Je scrute son visage et détourne mon regard, remarquant la maturité de ces mots. La véridicité de ces quelques phrases est frappante. Je prends une courte inspiration avant de me lancer.
« Tantôt, j'ai menti.
- De quoi parles-tu?
- Inconnus ou pas, je me suis inquiétée. »

Il rigole un peu.
« Ne te sens pas mal d'avoir été franche. Ça m'est égal.
- Tu dis que tu souhaites être transparent sur la manière dont tu te sens avec les autres, sauf que dès que tu es blessé par quelque chose, tu le camoufles et tu affirmes que tout va bien.
- C'est vrai. Je n'aime pas être un inconnu aux yeux des autres. Ça me donne l'impression d'être inutile. Peu importe. Pour revenir au sujet de plus tôt, n'en reparles pas à Wooyoung. Cela lui ferait juste du mal.
- Est-ce qu'il sait que tu aimais sa manière de danser?
- Non. Je n'ai jamais osé le lui dire alors qu'il ne pouvait de toute manière plus le faire.
- Tu devrais peut-être. »

Son regard devient un peu moins lucide et c'est seulement à ce moment-là que j'allume la lampe de poche et découvre que ses joues sont rougies. Les yeux mi-clos, il semble être pris par une forte fièvre.

Je voulais préciser que le fauteuil de Wooyoung est un fauteuil roulant, puisqu'il est handicapé (dans mon histoire). Aussi, j'ai modifié la loi dans le prologue et les Balances ont aussi comme choix de carrière Pompier. J'avais oublié de mettre ce métier à quelque part, donc je l'ai glissé là. L'histoire avance lentement mais sûrement. J'espère que vous l'aimez toujours et à la prochaine :)

𝔻𝕖𝕤𝕥𝕚𝕟𝕪  ˢᵃⁿOù les histoires vivent. Découvrez maintenant