16- SAN

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« Tu n'as pas besoin de rester éveillée, Mingi l'est déjà.
- Je sais.
- C'est un lit double, c'est fait pour deux personnes.
- Le sol me va très bien.
- Je ne te violerai pas pendant ton sommeil, Mimi. »

Son visage détaille le mien, éclairé par la douce lumière de la lampe de chevet.
« Je n'ai pas peur de toi, San-ah, dit-elle. »

J'observe son expression d'un regard incertain.
« Alors tu as peur de quoi? »

Elle reste silencieuse.
« Tu as peur de me faire mal? »

Son regard se baisse, me prouvant que j'ai raison.
« Même si tu frôles mon bras je n'aurai pas plus mal, je lui assure.
- Dors, San-ah, dit-elle en éteignant la lumière. »

Je n'en fait rien et reste assis à observer sa sombre silhouette. Elle se tourne vers moi, sa patience semblant avoir atteint sa limite.
« On fait tout notre possible pour que tu guérisses, San. On te laisse le lit et on te donne le plus de nourriture qu'on le peut, alors fais un effort aussi. On en a déjà assez fait.
- Je n'ai pas besoin que tu veilles sur moi, Mimi. Je ne suis pas un enfant, je suis capable de m'occuper de moi-même.
- Pourtant, tu ne le fais pas.
- Je veux juste m'assurer que tu dormes également avant de m'accorder du repos. »

Elle s'allonge alors au sol et ferme les paupières.
« Tu n'es pas une très bonne actrice. Dors sur le lit, Mimi. Sinon je vais aussi dormir par terre. »

Après avoir lourdement soupiré, elle s'allonge enfin à côté de moi, sous les draps. Elle reste cependant sur le rebord du lit, n'osant pas prendre plus de place et laissant une cinquantaine de centimètres entre elle et moi.
« Es-tu certaine de ne pas avoir peur de moi? je lui demande moqueusement.
- Ne faisons pas exprès pour te blesser davantage.
- Je t'assure que ça va. Si tu restes comme ça, c'est toi qui te blessera en tombant du lit. »

Je saisis délicatement son poignet et la tire un peu vers moi. Nous nous retrouvons alors face à face, et malgré que la pièce soit plongée dans l'obscurité, j'arrive à distinguer ses traits les plus proéminents. Je glisse une mèche de cheveux derrière son oreille.
« Dormons, maintenant. Nous avons tous les deux besoins d'une bonne nuit de sommeil, je murmure.
- Je ne suis même pas fatiguée.
- Non, arrête. Ce n'est pas que tu n'es pas fatiguée, c'est que tu es inquiète. »

Je saisis sa main et y effectue une douce pression.
« Moi aussi, je déteste cette situation, mais nous n'avons pas à nous inquiéter, on s'en sortira, d'accord? »

Elle me fixe quelques secondes avant de lâcher ma main et de se mettre sur le dos, de façon à éviter mon regard et à observer le plafond.
« Ce n'est pas parce qu'on a passé quelques jours ensemble qu'on se connaît. Ne fais pas comme si on se connaissait bien, San-ah.
- Je ne fais pas comme si on se connaissait, je veux te connaître. »

Elle soupire, semblant agacée.
« J'ai dit quelque chose de mal? je lui demande d'une petite voix.
- Aish... soupire-t-elle en se tournant dos à moi. »

Je mordille ma lèvre inférieure.
« Désolé... »

Elle monte le draps au dessus de sa tête. Je fronce les sourcils ne comprenant pas la situation.
« Tu es fâchée? je lui demande en dégageant son visage du draps. »

Elle pose chacune de ses mains sur ses joues, puis se met sur le ventre, enfouissant son visage dans son oreiller.
« Attends, tu as rougi? je demande avec surprise.
- Non! elle s'exclame.
- Mimi a rougi! je la nargue en rigolant. »

Elle se met alors à me chatouiller pour me faire taire, mais dès que j'attrape ses poignets, elle s'arrête, jetant un coup d'œil à ma blessure.
« Je crois qu'on devrait dormir, elle soupire en s'allongeant finalement. »

J'acquiesce et ferme les paupières à mon tour.
« Tu peux chanter? je lui demande.
- Je ne suis pas une Cancer, San-ah.
- Tu n'es pas une Cancer, tu es une artiste.
- Je n'ai pas envie de prendre goût à quelque chose d'interdit.
- Mais c'est déjà fait, n'est-ce pas? »

Aucune réponse ne se fait entendre, ce qui me laisse croire que j'ai raison.
« Parfois, je m'imagine qu'on puisse changer de date de naissance. Je suis certain que je ferais un bon vétérinaire. Je me demande comment c'était, avant. Quand les gens pouvaient choisir librement leurs métiers. Est-ce que tu penses qu'ils se plaignaient parce qu'ils avaient trop de choix? Qu'ils rêvaient d'avoir un chemin tout tracé?
- C'est absurde, bien sûr que non.
- On nous a toujours dit qu'avant, les enfants apprenaient tout pleins de choses différentes même lorsqu'ils avaient quitté la petite école. Imagine apprendre un peu de ce que tous les signes apprennent. Ça devait être génial.
- Pourtant, ces écoles se sont transformées en les nôtres puisque les enfants n'aimaient pas cela.
- Ils avaient tellement de chance, et pourtant, ils se plaignaient... J'aimerais en apprendre plus sur la science. Et j'aimerais apprendre une nouvelle langue. Tu sais, avant, les gens qui venaient d'endroits différents parlaient diverses langues. Imagine communiquer avec des mots différents...
- Arrête d'autant rêvasser. Nous parlons tous la même langue, nous apprenons seulement ce qui nous servira dans le futur et nous sommes séparés par nos signes. C'est une réalité qu'on ne peut pas échapper.
- J'aimerais pouvoir te faire découvrir ce que c'est, chanter sur scène. Je suis certain que ça te plairait. Au début, c'est déstabilisant et épeurant, mais après une ou deux musiques, on s'y habitue. J'ai l'impression d'être à ma place, sur une scène, et d'être vraiment heureux, parce que je fais des choses que j'aime et je distrais les gens de leurs problèmes. Ils ont tous le sourire aux lèvres. J'ai l'impression de m'échapper de ce monde pour quelques heures. Peu importe les signes, tout le monde est mélangé et heureux. Chaque concert, c'est comme une bouffée d'air qui me donne du courage. J'aimerais que tu puisses le vivre. Ça serait tellement bien, je souffle. »

𝔻𝕖𝕤𝕥𝕚𝕟𝕪  ˢᵃⁿOù les histoires vivent. Découvrez maintenant