Acacia (Philippine Tome 3)

Chapitre 25 - Où est mon Oscar ?

Si vous devez partir tôt le matin, alors vous croiserez forcément trois catégories de personnes : les faux sportifs qui courent avec un smartphone plus lourd que leur bouteille d'eau dans une pochette accrochée au bras, les fêtards qui n'ont pas compris qu'à cette heure-ci on ne servait plus de whisky et les lève-tôt que l'on peut définitivement voir comme une classe de surhumains. Je n'ai jamais compris comment on pouvait être apte à se lever à cinq heures du matin pour attraper un bus ou un train à six heures, c'est improbable. Moi rien que pour sortir de mon lit, il me faut une demi-heure et je ne compte même pas le temps où je dois prendre mon petit'dej, me préparer et...en fait en y réfléchissant, je me rends compte que je perds du temps en me levant. Généralement je reste assise là pendant de longues minutes en me demandant si ma vie à un sens quelconque et si je suis vraiment le fruit de l'amour de mes parents. Je veux dire...comment deux personnes passant le plus clair de leur temps à se disputer autant peuvent s'aimer ainsi et faire un enfant ?

Sans compter que mon pseudo meilleur ami est une sorte de suppôt de Satan également. Décidément, les roux ne sont pas épargnés dans notre vieille société.

- Acacia dépêche-toi, ça fait des heures que t'es dedans !

- Ouais bah plus tu me stresses, moins mon caca il veut sortir. Faut que je me détente tu sais.

- J'irais acheter du jus du pruneau, tu vas voir comment tu vas être détendue.

Et dans de rares moments d'égarement, je me demande ce que ça fait que d'avoir une mère normale qui n'a pas hérité des gênes de tous les tyrans que l'histoire du monde ait pu créer. Ma mère a clairement des airs de Boss Final des jeux vidéos. Vous savez celui est généralement cinq fois plus grand que vous, trois fois plus terrifiant et dix mille fois plus puissant et qui vous fous une raclée monumentale juste en vous soufflant dessus ?

- À la base, je suis en vacances ! En vacances ! Pourquoi suis-je censée travailler ? Personne ne travaille pendant les vacances.

Gaston doit sûrement se la couler douce quelque part dans une résidence de son père. Y'a vraiment des privilégiés !

Mon seul petit, infime, que dis-je...ridicule bonheur réside dans le fait de ne pas à avoir me tarter Églantine. Pas de fac, pas d'Églantine et je trouve ça encore mieux que "Pas de bras, pas de chocolat". Je me demande ce qu'elle fait tiens d'ailleurs. Certainement en train de courir après tout ce qui a un cerveau en dessous de la ceinture, ça ne m'étonnerait pas d'elle. Ou alors elle est en voyage et va nous étaler sa conquête de je ne sais quel espace sauvage à la figure quand on la reverra. Et rien que de penser à ça, à elle, je ressens l'immédiat besoin d'acheter une balle anti-stress. Apparemment ça a des valeurs thérapeutiques, même si je reste partisane qu'une bonne gifle n'a jamais fait de mal à personne.

- Acacia Tagliani !

- Cinq minutes !

Décidément, plus aucun respect pour la pause sacré qu'est le trône. Les toilettes c'est peut-être l'endroit le plus sous-estimé de la maison tant ça peut servir d'excuse pour absolument tout : Repas de famille ou d'amis relou où on ne peut pas regarder son téléphone sans se faire engueuler ? Hop pause toilette. Table immense à débarrasser et vaisselle à faire juste derrière ? Toilette. Rencard gênant et besoin d'une sortie de secours immédiate ? Toilette. C'est magique ! Partout où ils sont, ils sauvent des vies.

Finalement, ma mère me dépose devant l'immeuble et à peine ai-je passé le bureau de la standardiste que je sens déjà le regard des secrétaires sur moi. Décidément, pas de repos pour les héros aujourd'hui non plus. Je suis presque certaine que ces harpies ne me lâcheront pas les baskets de la journée.

- Tu n'es même pas une employée et tu te permets d'arriver en retard. Tu as du culot, faut l'admettre.

La bave du crapaud n'atteint pas la blanche colombe.

- Oh ? Pas de réponse ? Tu as donné ta langue au chat ce matin ?

- Mieux vaut l'avoir donné au chat, que de l'avoir utilisé toute la nuit pour lécher les pompes du grand patron. On vous a déjà dit que ce n'était pas propre de lécher ce qui était au sol ? Ceci dit, ça expliquerait votre haleine matinale. Un oublie de brosse à dent peut-être ? Un brin de toilette ne serait pas du luxe quand même !

- Sale petite...

- Acacia !

Alors que le combat de poules allait tout juste se lancer, le responsable de notre département qui n'a que faire de mes qualifications et qui m'a embauché juste parce que mon nom de famille lui donne l'envie de se remettre aux couches-culottes pour éviter de se refaire dessus...m'appelle et intervient donc dans mon seul petit plaisir du jour. Dommage.

- Oui ?

- Dans mon bureau.

Vu les nombreux sourires satisfaits qui se dressent subitement, je suspecte me faire convoquer pour me faire remonter les bretelles. Après je ne cache pas que s'il me vire, c'est tout bénef, je pourrais retourner en vacances et me prélasser au soleil chez Gaston.

J'entre donc à sa suite, m'installe dans un fauteuil tandis que son regard est fixé sur moi.

- J'ai entendu des choses Acacia...et bien que tu sois nouvelle ici, il faut que tu saches qu'il y a une limite à ce que l'on peut dire ou faire.

Et moi qui le pensais légèrement plus intelligent que ça vu le nombre de diplômes accrochés au mur à côté de moi. Donc, on part sur ça ? Les "on dit que" ? Ça me va. Je vais pouvoir voir si je mérite enfin cet Oscar que j'attends depuis ma naissance tant je suis douée pour naturellement jouer la comédie.

- Je sais que j'ai dépassé les limites Monsieur et j'en suis navrée, mais vous savez, ce n'est pas facile d'être dans une entreprise pareille en ayant un nom de famille comme le mien. Le poids et les responsabilités que cela implique. Vous saviez que ça allait naturellement créer de la jalousie chez vos employés et je crains que le harcèlement que je subis n'affecte mon travail et m'empêche de le faire correctement. Je suis constamment interrompue alors que mes tâches sont si simples ! Je fais le travail de trois secrétaires en moins d'une journée, ne suis-je pas d'une efficacité sans pareille ?

- Certes, je reconnais que...

- Maintenant me voilà contrainte à bâcler mon travail pour ne pas trop sortir du lot, moi, une petite jeune sans qualifications particulières...mon dieu...

- Cela est navrant, mais je...

- Et vous savez ce qu'est le plus dur ? Savoir que je ne resterais pas ici et que je vole ainsi le poste d'une personne plus qualifiée ! Ça me désole tellement !

Faux. Absolument faux. Je m'en bats les ovaires, mais de façon royale.

- Acacia, non loin de moi l'envie d'avoir ce genre de discussion avec toi, mais...

- Et ma mère qui comptait tant sur moi ! Quelle déception je dois être pour elle qui a réussi à tant faire dans le milieu ! Honte sur moi, mon honneur, ma famille et...mes vaches !

- J'ai compris, j'ai compris. Je sais que les filles sont difficiles à gérer, je m'en occuperais personnellement, mais s'il te plaît garde tes distances et essaye de les éviter.

- Alors qu'elles viennent constamment vers moi ?

- Philippe est en congé pendant une semaine, tu peux avoir son bureau le temps de finir ta période chez nous.

Oooh. Mon propre bureau ! Moi qui ne suis rien qu'un vermisseau ! Ça va en faire des jalouses.

- Vous êtes vraiment un excellent manager et une personne au grand cœur ! Merci Monsieur. Vous ne serez pas déçu par mon travail !

Et hop ! Le tour est joué. C'est ce que j'appelle une affaire rondement menée.

Mon Oscar maintenant ?