57] Ciel

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De toutes les fois où Delaunay a fait l'amour à une femme, c'est sans hésiter la plus intense et la plus satisfaisante fois.
L'homme a du mal à se remettre de cet instant. C'était bien plus puissant et fort qu'il n'aurait jamais cru que ce soit possible. Il n'avait jamais autant désiré une femme et désormais la voilà sienne. Il aime croire qu'il possède son âme autant que son corps.
La jeune femme a eu un orgasme, il en est certain. Il se demande encore comme elle a pu désirer coucher avec lui, dans cette forêt, allongés sur ce sang, entourés de ces cadavres, après qu'elle se soit tout juste faite violer, mais c'est sans doute que rien n'était plus fort que leur désir commun l'un pour l'autre. Que rien ne comptait plus que leur union et que tout avait disparu autour.

Il l'aime.
D'un amour inexplicable, inattendu et inconditionnel.

Lorsqu'elle sera soignée, il l'aidera à surmonter son traumatisme. Il la soutiendra corps et âme. Et ensembles ils pourront se reconstruire et ne former plus qu'un.

Le ciel de l'aube est tellement splendide et frais. Ses couleurs pastels se confondent au dessus de la cime des arbres et forment un tableau merveilleux et féerique.
L'inspecteur est heureux d'oublier ce qu'il y a au sol pour observer ce spectacle. Il est heureux que ce soit avec elle et que leurs yeux observent la même chose.

Une fois totalement remis il remet son boxer en place et referme sa braguette avant de venir chercher la main d'Ange qu'il sert amoureusement dans la sienne.

Au bout d'un temps qu'il ne saurait compter, une seconde, une éternité, mais probablement une heure ou deux, il finit par entrouvrir la bouche et murmure doucement:

-Je t'aime. Je t'aime comme je n'ai jamais aimé. Pour toujours Ange. Mon Ange...

Soudain, il réalise quelque chose. Quelque chose qu'il ne lui était jusqu'ici même pas venu à l'esprit et qui le fait alors sourire avec insouciance:

-Tu ne connais même pas mon prénom... Veux tu que je te le dise?

La jeune femme, égale à elle-même, reste silencieuse. Mais il sait que l'indifférence qu'elle exhibe n'est en réalité qu'une nouvelle preuve de l'amour qu'elle lui porte en retour.
Il sourit de plus belle et sans lâcher sa main se redresse sur un coude pour qu'ils puissent se regarder.

Les yeux de la jeune femme l'ignorent, ils continuent de fixer l'étendue céleste comme s'il n'était pas penché au dessus d'elle. Ces yeux de poupées, ces yeux d'ange, ces yeux irréels.
Sa peau est pâle, malgré le sang qui constellent sa chair. Sa fine bouche entrouverte arbore deux lèvres légèrement bleutées par le froid. Sa respiration est si douce qu'elle ne fait pas de bruit et ne trouble pas le son de la forêt. Sa main dans la sienne reste endormie, parce qu'elle se refuse à montrer le moindre signe d'affection. Ses plaies ont cessé de saigner, enfin.

Mais alors qu'il est submergé par cette beauté muette, il réalise que ces deux grands yeux sont trop fixes, que cette peau est trop pâle, ces lèvres trop bleues, cette respiration trop silencieuse, cette main trop inerte, ces plaies trop coagulées...
Un éclair de terreur absolue passe dans son regard.
Il se redresse aussitôt et attrape la jeune femme par les épaules pour se mettre à la secouer comme pour la réveiller.

-Ange. Ange! ANGE!!!

Mais il aura beau hurler, il aura beau la secouer aussi frénétiquement qu'il le pourra, il aura beau supplier, prier, c'est désormais inutile, car il a, sans même le savoir, et en croyant se l'approprier à jamais, fait sortir ces démons qui l'habitaient.

Il a libéré l'ange.

AngeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant