.Chapitre 27 : Charlotte-Aimée, une loutre au-dessus d'un précipice

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« Chat, regarde... tente Papa.

Je suis fermement maintenue dans ces bras puissants, comme à chaque fois qu'il m'emmène à l'Entrainement. Ici, je n'ai pas le droit de poser le pied à terre ; j'ai l'impression de me trouver dans un porte-bébé organique. Le gymnase des combats est bruyant, il sent fort la transpiration. Papa s'est arrêté devant un ring où se déroule un combat sous forme humaine. Deux louves toutes suantes en brassière et shorty se tapent joyeusement dessus avec forces de halètements, à croire qu'elles jouent leur vie. Mes yeux glissent sur le spectacle pourtant plaisant, sans que je n'arrive à les fixer sur quoique ce soit, tant je suis nerveuse. Mon pied reprend de plus belle ses tremblements contre le genou de Papa.

— Bof, réponds-je sans réussir à trouver un quelconque intérêt.

Papa paraît déçu, elles doivent être deux de ses meilleures combattantes.

— Elles sont assez vives pourtant, et celle en bleue a une très bonne technique. Celle en noir est plus instinctive, elle compte beaucoup sur son ouïe très développée. Qui va gagner tu penses ? murmure-t-il pour ne pas les déconcentrer, ce qui est tout à fait inutile en vue du boucan qui règne déjà dans le gymnase.

Je hausse les épaules, cherchant quelque chose de plus intéressant.

— Celle de droite, marmonne-je.

Papa sourit et passe sa main sur ma joue. Il s'est rendu compte avec les années que j'avais souvent (pour ne pas dire toujours) raison pour le gagnant d'un combat. La violence, surtout inutile, c'est mon domaine. Il me montre quelques autres combats avec différents techniques dont un à l'arme blanche, mais devant mon peu d'intérêt et ma nervosité qui grandit, il passe finalement dans la salle de musculation. D'habitude je trouve cela génial de voir les personnes souffrir volontairement tout autour de moi. J'imagine être à leur place, devenir grande et forte, je les déconcentre en faisant des grimaces, Papa me ballade dans les allées et m'explique le fonctionnement de chaque appareil, je fais des petits coucou à ce que je connais. Aujourd'hui, je n'ai même pas envie d'embêter D que j'aperçois tirer sur des fils plus loin. Torse nu, il ressemble un peu moins aux bonhommes lego que Judas cache sous son lit, à côté d'affaires qu'il a piqué à Ava. Il fait encore plus grand et plus musclé. Au comble de l'énervement, je finis par réussir à taper dans une machine avec mon pied. La barre retenue par le boulon que je viens de dégommer se casse la figure sur le loup allongé sous les altères. Papa attrape le pied coupable. Je regarde avec des yeux éteints la barre en métal tomber et s'enfoncer dans la cage thoracique du loup. J'entends à peine quelques côtes craquer.

Je me sens si vide. Je ressens un immense creux au niveau de la poitrine ou du ventre, pareil à celui que je viens d'infliger à la crêpe au sol qui couine de douleur. Un gouffre abyssal dans lequel le vent s'engouffre en hurlant pour éteindre mon cœur. J'ai envie crier, moi aussi, crier pour leur expliquer qu'il manque quelque chose. Je m'étais sentie complète pendant une période, je ne le suis plus, j'en souffre, personne ne comprend. Personne ne peut comprendre.

Papa qui s'excuse maladroitement auprès de la crêpe écrasée et qui attend l'arrivée d'un infirmier, remarque ma tête. Il se dépêche de sortir de la salle. Je ne patiente pas le temps que nous soyons dehors pour hurler à la mort. Papa court maintenant, pour que nous nous éloignions de l'Entrainement et des habitations. Il n'ose pas me bâillonner de sa main, il n'est pas capable de la porter sur moi. Il me dépose enfin sur le sol.

— Charlotte-Aimée, regarde-moi. Chut...

Je ne sais pas qui est cette conscience étrangère qui m'observe avec de stupides yeux inquiets. Elle ne peut pas me comprendre. L'énergie qui circule dans ce corps, dans mon corps, n'est faite que pour une chose. Exprimer sa rage et sa douleur.

Les ennuis d'Asmaldilare, sorcièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant