Comme j'en avais assez de jeter des bouts de tissus sur les corps qui s'alignaient sans fin derrière le Centre d'Entrainement, je suis allée voir Asmaldilare. La Cabane a un peu peur de moi désormais, elle se tient tranquille et me laisse monter l'escalier déroulant sans protester. La morsure sur la peau glabre et rose de sa patte semble encore sanguinolente.
« Ne rentre pas, nom d'un chaudron de bois ! siffle ma Maitresse lorsque je pose un pied sur la parquet poli par le passage de ses sabots.
Quand elle parle, j'obéis. Moi qui n'ai jamais rien respecté, y compris mes propres parents, y compris l'Alpha, y compris les deux à la fois, j'obéis à la moindre parole qui sort de sa bouche et j'en suis heureuse.
Voici le pouvoir de la Chuchoteuse.
Lorsqu'elle parle, les deux parties de mon être, ma tête et la bête dans mon ventre, se reconnectent irrésistiblement pendant quelques secondes. J'en ressens une divine plénitude.
J'attends patiemment sur le pas de la porte en tapant du pied, consciente que ma chaussure tape également sur les nerfs de ma Maitresse. Après moins d'une minute, elle déclare forfait en bougonnant, parce que la patience n'est pas le fort des sorcières.
— Entre donc, démon stupide et parfaitement agaçant...
Je pénètre donc toute fière de moi dans la masure encombrée, presqu'autant que lorsque je m'étais joué de D à la Planque. Sans prêter attention à ce que trafique ma Maitresse entre ses alambics et ses fioles de couleur, j'enjambe les gros bouquins derrière lesquels le zombie s'est réfugié à mon arrivée. Mon ouïe fine perçoit le sifflement de son hand-spinner rouillé, derrière le gargouillement de la marmite sur la feu, les grattements d'un plume presque sèche contre un parchemin épais, et les injures marmonnées comme une litanie magique. Comme je suis très petite, j'arrive à le tirer de son trou derrière la bibliothèque encombrée.
— Tu viens jouer avec moi ? lui demande-je innocemment en ramenant mes tresses sur les épaules pour ressembler un peu plus à une poupée.
Il ne répond rien. Son petit corps verdâtre semble tout raide ; ses yeux ternes derrière sa frange noire trop longue sont exorbités par la peur.
Voyant qu'il ne comprend pas la référence et ne goutte pas à mon humour, je tente une autre approche.
— Comment tu es mort ? essaye-je de nouer le dialogue.
Ma question n'a pas l'air d'améliorer son état. Je me creuse donc la tête à la recherche d'une autre accroche.
— Est-ce que tu as déjà tué des gens ?
Je le lâche. Peut-être que cela l'aidera à mieux répondre.
— Comment t'appelles-tu ? dis-je après quelques minutes de réflexion, pas trop convaincue par ma trouvaille.
— Lucas, murmure-t-il tellement bas qu'une humain n'aurait rien entendu.
— Enchantée, moi c'est Charlotte-Aimée, mais comme nous allons devenir amis très prochainement, tu peux me nommer Chat.
— Charlotte-Aimée.
— Oui, c'est ça. Charlotte parce que mes parents aimaient ce prénom, et Aimée en souvenir de ma grande sœur Amicie qui est morte. Mais bon, si j'ai bien compris, c'est moi qui l'ai tué avant ma naissance.
Lucas hoche la tête alors que je suis sûre qu'il n'a rien compris. Assis sur les gros livres qui prennent la poussière et perdent leur pages, on continue à discuter un peu, il me dit que son hand-spinner s'appelle Léo, et que son grand frère s'appelait comme le hand-spinner. Ses parents ont dû le copier, il ne trouve pas cela sympa. De toutes les manières, ses parents ce sont des méchants, ils tapent trop fort. Il déteste les brocolis, il devait tout le temps en manger avec ses parents. Asmaldilare, elle n'est jamais contente mais elle est plus gentille, comme Léo. Je crois qu'il parle de la toupie en fer.
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Les ennuis d'Asmaldilare, sorcière
VampiriRien ne va plus pour Asmaldilare... Cette sorcière associable fraichement débarquée aux Etats-Unis s'est faite enlever ! Elle qui n'avait jusqu'alors peu d'autres occupations que la cueillette de champignons, l'élevage d'arachnides et le Grand...