.Chapitre 34 : Asmaldilare, deus ex machina

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Tout me semble si vide : mes manches, mes revers, mon corset, ma tête, mon imagination.

« Vraiment, tu es indigne de l'enseignement de Daemumbra, puisque tu n'as pas été capable de garder son précieux grimoire. Adieu, Asmaldilare la Chuchoteuse. » grogne Maldré en se frottant les mains.

Du vent commence à tourbillonner au bout de ses doigts crochus. Une nuée sombre et poisseuse s'échappe de sous ses ongles épais. Je tente de me rappeler un sort de défense, mais Daemumbra n'a réussi à enfoncer dans mon crâne que trois sorts en cinquante ans d'enseignement. Un sort pour ouvrir les serrures. Un sort pour donner la parole. Un sort pour ressusciter les batraciens aquatiques de petite taille. Le peu que je maitrise est les potions, et encore il s'agit d'un contrôle très aléatoire.

Devant la petite tornade noire qui s'élève du sort de Maldré, je recule, ou du moins, morte de peur, j'essaye de prendre la fuite.  Comme je suis incapable de courir, je me prends dans mes dentelles et dans César qui ne me lâche pas, je tombe pitoyablement dans les feuilles, tandis que ma Cabane disparait dans les arbres et que Lewis, toujours debout, n'est plus qu'un monticule de pus habillé de noir souillé. Le vent siffle à mes oreilles. Je ferme les yeux lorsque je sens le sort lécher mes pieds échappés de leur sabots.

C'est la fin. Je n'ai que quatre-dix-huit ans.

Mais soudain, psssstttt. Le bruit que fait une bouteille sous pression lorsqu'on la débouche. Puis, plus rien.

Un peu interloquée, je mets du temps à rouvrir les yeux. Je semble toujours être au même endroit, étendue sur le sol d'une clairière à la lisière de la forêt des loups. Je me relève avec précaution. A l'endroit où se tenait il y a quelques secondes à peine Maldré la Fourbe, il n'y a plus qu'un tas de vêtements avec une... grenouille. Une petite reinette qui semble tout droit sortie d'un conte pour enfant, une grenouille minuscule plus verte que de l'herbe fraiche, empêtrée dans des tissus épais et marronnasses.

Un être s'avance vers moi, calmement. Tout d'abord, je crois reconnaître l'enfant des loups. Il ne me faut que quelques secondes pour voir au-delà de l'enveloppe corporelle, au-delà du masque de fillette. L'être qui marche lentement vers moi est un démon.

Le démon du grimoire de Daemumbra.

Sans parole, sans rien faire, il vient de réduire Maldré la Fourbe à l'état inoffensif de batracien.

Les deux grands yeux verts ne me lâchent pas, mais derrière cette couleur factice qui fait croire à tous que c'est un loup-garou, je perçois nettement la volonté surhumaine, l'énergie incroyable qui bouillonnent selon un mécanisme et des lois qui nous sont inconnu à tous, pauvres humains et créatures surnaturels.

« Sais-tu pourquoi Daemumbra la Démoniaque t'a appelée la Chuchoteuse ? demande le démon de sa voix d'enfant gâté.

Je reste muette de peur. Il pourrait me faire brûler vive au moindre mot de travers.

— Pourquoi ? Réponds, ordonne le démon, têtu.

— Parce que je parle très bas et pas beaucoup...

Le démon rit.

— Non, Asmaldilare. Elle t'a nommée ainsi parce que tu parles aux démons.

Le corps minuscule se rapproche encore. Il tend d'un air décidé sa main vers une de mes manches.

— Je ne suis pas un enfant, mon toucher ne te tuera pas.

La main enfantine soulève ma manche et attrape fermement (presqu'avec empressement) mes doigts osseux qui s'étaient réfugiés dans les profondeurs des dentelles.

Les ennuis d'Asmaldilare, sorcièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant