.Chapitre 33 : Charlotte-Aimée, qui suis-je ?

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A l'aube, dans la voiture qui me ramenait à la Clairière, j'étais très excitée. J'avais réussi à passer la frontière. Je m'étais bien amusée avec un Alpha de mauvais poil. J'avais revu la Sorcière, j'avais pu l'admirer et l'écouter pendant toute une nuit (elle se trouvait dans une cellule voisine de la mienne). Maintenant que mon aventure était terminée, j'allais retourner auprès de Judas, Maman et Papa. J'allais tout leur raconter et ils allaient être très étonnés et admiratifs. Peut-être même que Judas allait me dire « Bravo Choupette », et que cela me ferait très plaisir. Papa allait m'apporter des gâteaux qu'il cuisine, et tresser mes cheveux très doucement comme pour une petite princesse. Maman n'allait pas me quitter des yeux, ses beaux yeux verts au milieu de son éternel visage de bronze.

J'allais redevenir le centre de mon petit monde. Cette idée me rendait très heureuse.

Quel n'a pas été mon étonnement quand le loup qui conduisait a dépassé l'embranchement qui menait chez moi. Il s'est arrêté devant le Premier, mais au lieu de me guider vers la salle de Conseil où devait se trouver Maman et D (que j'aimais bien aussi), il m'a fait descendre des escaliers, beaucoup d'escaliers, jusqu'à une très petite salle qui ressemblait à un placard à balai vide. Il m'a posé d'autorité sur l'unique tabouret. Il a fermé la porte. La clef a tourné dans la serrure. Ses pas se sont éloignés dans le couloir. Puis, plus rien.

Je restais comme une idiote à fixer la porte avec un sourire béat, prête à sauter sur Maman, Papa ou Judas, Ava ou D, Mamie et Papie ou Grand'Pa, Oncle Joe ou tante So, ou tout individu que j'appréciais et qui avait le malheur d'ouvrir cette fichue porte à ce moment précis.

Je suis toujours toute seule. Peut-être le chauffeur avait-il une heure d'avance sur l'horaire, personne ne sait encore que je suis de retour...

« Ho ho, je suis là ! »

Je crie pour manifester ma présence. Seul le silence me répond.

Mon impatience revient très rapidement. Je descends du tabouret, désormais d'assez mauvaise humeur. Je décoche un stupide coup de pied contre la stupide porte stupidement close. Le bruit qui en résulte m'informe qu'elle est blindée.

Mais qu'est-ce que Charlotte-Aimée fiche ici ? Depuis quand n'est-elle plus libre comme l'air ?

Le monde est tombé sur la tête.

Je commence à sérieusement m'acharner sur cette maudite poignée qui me résiste.

« Judas ? » appelle-je, croyant percevoir une respiration familière. Hier matin, il m'avait dit que je pourrais dormir dans sa chambre cette nuit. Il m'avait raconté une blague digne de Joachim, et m'avait montré un livre illustré sur l'Inde prêté par Ava. J'avais hâte. Je me blottirai dans son lit comme une loutre roulée en boule, réduisant mon mètre quarante-sept à un mètre tout rond. Il serait étendu de tout son long autour de moi, devenant mon horizon. J'étais son unique amour, il me l'avait dit. Toutes les autres filles, ses miss qui le suivaient comme son ombre, ses pom-pom girls qui se dandinaient pour lui pendant les matches, c'était du vent. Il me l'avait dit.

Je ne saurais pas dire combien de temps je suis restée à parler à des fantômes. A force de m'énerver, j'ai réduit la poignée en petits morceaux de métal ; à force de bouillir, je me suis endormie d'épuisement.

J'étais en colère. J'étais très en colère. Des larmes de rages mouillaient mes joues tandis que je m'enfonçais dans les vapes de l'inconscient. Des bulles d'incompréhension sortaient de mes narines de manière irrégulière. La bestiole dans mon estomac tournait sur elle-même en crissant de haine.

Les ennuis d'Asmaldilare, sorcièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant