Lendemain.
Les yeux rivés sur le paysage de la fin de journée dakaroise qu'offrait la vitre du bus, Youssouf planifiait les projets pour son premier mois de salaire.Son premier mois de salaire ! Lui Youssouf ! Sa tante allait s'étouffer de colère !
Ses souvenirs le menèrent à quelques années plutôt, il se souvient encore du jour où elle l'avait traîné jusqu'au garagiste du quartier qui était accessoirement le frère de cette mégère. C'était durant les vacances scolaires.
Il avait vite fait d'en conclure que chez eux la méchanceté est de sang. Il passait des journées à accumuler des charges trop lourdes pour l'adolescent frêle qu'il avait été et le soir sa tante s'y m'était avec une cruauté iridescente après lui avoir pris son argent qu'elle gaspillait sur des futilités.
Il secoua imperceptiblement la tête comme pour se replonger dans le présent.
Tout cela, c'est du passé... Du moins les faits...
Aujourd'hui, il était devenu un homme, un homme détruit, mais tout de même un homme qui ne laissera pas cette harpie gâcher sa vie future.
Perdu dans ces pensées, il ne se rendit pas compte qu'il était presque arrivé puisqu'un bref coup d'œil lui fit savoir qu'il était à Poste Thiaroye. Le bus s'arrêta et une longue bousculade s'en suivit. Il arrivait qu'à ces heures qu'il soit très difficile de trouver une voiture pour rentrer, donc dès qu'une voiture arrivait, c'était un concert de voix qui gueulaient parce qu'on les touche, les gémissements de ceux à qui on marche sur les pieds, ceux qui crient en demandant la destination du bus...
Par la porte de devant, une silhouette familière se fraya un passage parmi les passagers pour se diriger vers le receveur suivi par une autre tout aussi familière.
__Deux Sicap Mbao, fit la première tandis qu'il se lève pour céder sa place à la vieille dame qui l'accompagne.
__Mère Thioub asseyez-vous, fit-il en désignant sa place.
__Ah Youssouf Diop Diop , répondit celle-ci en s'asseyant.
__Thioub Thioub comment allez vous ?
__Bien grâce à Dieu Diop Diop, ndaka leguiy bi ? (Et le boulot.
__Sante yallah bou bax (Dieu merci)
__Alhamdoulilah Diop...
__Bonsoir , fit Khaïry en l'intention de Youssouf en tendant à mère Thioub son ticket.
__Bonsoir Khaïry comment allez vous ? Répondit-il en portant son regard sur elle alors que le bus redémarre.
__Bien alhadoulilah et vous ? Répondit-elle à son tour.
__Bien.
Leur conversation ne consternant pas leur cours ne durait jamais longtemps, ils se disaient juste le strictement minimum ; c'était comme une règle qu'ils avaient établie muettement. Ce fut Khaïry qui le brisa ce jour-là, mais juste pour demander un renseignement.
__Youssouf savez-vous où je peux avoir des livres "par terre" ? Demanda-t-elle en levant son regard sur celui charbon de son interlocuteur.
__Il y'a en ici à Thiaroye, mais tu trouvera sûrement mieux en ville, répondit Youssouf. Tu lis quels genres de livres ?
__Tout sauf bien sûr des poèmes.
__Pourquoi pas des poèmes ?
__Je ne sais pas.
__Bref on peut peut-être sacrifier notre dimanche prochain pour que je te montre où c'est, suggéra Youssouf.
Partir seule en ville avec un homme, elle ne pouvait pas se la permettre bien que celui-ci semble fuir l'illicite en a jugé par ces cours. La vie, ne lui avait-elle pas appris que tout ce qui brille n'est pas de l'or ; de ses parents à la dame Khoudja et pourquoi Youssouf dérogera-t-il à la règle ?!
__Alors ?
Le bus freina brusquement la propulsant dans les bras musclés de Youssouf suivi par des protestations de mécontentement des passagers s'adressant au chauffeur.
__Damay ******** , insulta le chauffeur à l'intention d'un autre chauffeur qui le lui rendit avec encore plus de vulgarité.
Khaïry se dégagea abruptement en sentant la chaleur corporelle de Youssouf qui sembla la brûler créant le trouble en elle.Elle n'avait même pas eu peur comment à son habitude dès qu'un homme la frôlait.
__On est arrivé, fit mère Thioub en levant pour se rapprocher de la porte suivit de près par Youssouf et Khaïry.
__D'accord dimanche donc, répondit Khaïry après un bref conflit intérieur.
__Insha'Allah, répondit Youssouf alors que la voiture s'arrête à l'arrêt de sicap grouillant de personnes.
Ils se séparèrent à deux rues de chez Youssouf qui continua sa route se demanda encore qu'elle mouche l'avait piquée pour qu'il propose de l'accompagner, ça aurait été mieux qu'il lui donne des indications pour s'y rendre et passé tout le week-end avec son frère et son père. Mais c'était déjà fait et ce n'était nullement dans ses habitudes de revenir sur ses paroles, pensa-t-il en arrivant chez lui.
Pour la première fois depuis très longtemps une peur inexplicable l'assaillit à l'approche de chez lui. La maison grouillait de personnes et la première pensée qu'il eut fut pour son père, on ne sait jamais avec sa santé déclinant et la cruauté de la mégère qui lui sert de femme.
Il pressa le pas et trouva la sorcière et la petite amie de son fils (vous savez, la fille engrossée par birame) dans une altercation très violent entourées par les curieux dont certains filment la scène.
__Que se passe-t-il ici ? Demande-t-il à Babacar qui était à l'encadrement de sa chambre en train de filmer.
__Elle veut qu'elle cuisine puisqu'elle est là depuis un mois sans rien faire.
__Arrête de filmer et rejoint moi dans la chambre de papa, lui intima Youssouf en lui arrachant son téléphone des mains.
__Laisse moi finir way , proteste son cadet en croisant les bras.
__Quel enfant celui-là, t'es pas curieux de savoir ce que je projetais de faire ?
__C'est bon on y va, abdiqua-t-il en le précédant dans la chambre qu'occupe leur père.
Comme d'habitude, ce dernier ne bougeait pas , il était assis sur sa chaise. À quoi pensait-il ? À la mère de babacar? Le meurtre de celle-ci ? Au temps où il faisait tout par ses propres moyens ? Ses enfants __Du moins Youssouf et Babacar__ espéraient de tout cœur qu'un jour, il guérira enfin pour leur en faire part.
__Bon voilà, commence-t-il en s'asseyant près de son père. J'ai reçu mon salaire et j'aimerais que l'on commence le traitement de papa, mais avant ça dit moi ce que t'en penses.
__Mais c'est génial ! S'extasia Babacar. Je n'ai rien à ajouter, tu prends toujours les bonnes décisions.
__Je voulais aussi te demander si tu peux t'en charger parce qu'avec le boulot, je ne pourrai pas y aller lundi insha'Allah.
__C'est ok, Wallah, je souhaite de tout cœur que tu te rétablisses, continua Babacar l'intention de son père.
__Insha'Allah ça va se passer, il le mérite, il a toujours été un bon père, renchérit Youssouf.
__Le meilleur de tous bon va te doucher, là, tu pues, le taquine Babacar en évitant de justesse un coup.
__Raté !
__Mais s'il te plaît pense à chercher du travail.
***