I will not say the Day is done

La créature

La pièce était petite et mal éclairée. Elle disposait d'une seule fenêtre obstruée par un volet et qui laissait filtrer quelques rayons de fin de matinée. Lorsqu'il était entré, Samwise s'était attendu à trouver plusieurs Hobbits postés autour du prisonnier, mais il n'y avait là qu'un seul gardien un peu désœuvré qui ne semblait pas accorder beaucoup d'attention à la cellule devant laquelle il était assis mollement.

Olo Bunce, le Shirrif de Hobbitebourg, ferma la porte derrière Sam.

« On l'a trouvé ce matin près de Lézeau, dit-il à l'adresse de Sam. On pense que c'est un orc, ou un truc comme ça. Mais il est pas comme ceux qu'on croise d'habitude. Sinon nos archers s'en seraient occupés.

— Et vous avez besoin de moi pour ? demanda le Hobbit en s'approchant à pas mesurés des barreaux derrière lesquels une forme était recroquevillée.

— Pour nous dire ce que c'est, déjà. Et puis nous conseiller sur quoi faire de lui, si tu veux bien. »

Depuis qu'il était revenu de son aventure et qu'il avait nettoyé la Comté de Saroumane et de ses sbires, Samwise Gamgee était sans arrêt sollicité par les habitants du bourg pour des affaires qui avaient attrait au « grand monde » comme il disaient. Sam en était las. Il aurait préféré que Merry ou Pippin se chargent de régler ce genre d'affaires : ils avaient vu de grandes batailles, et c'était surtout eux qui s'étaient débarrassés des envahisseurs à leur retour. Mais ils vivaient loin, avaient leurs propres responsabilités, et il aurait été injuste de leur en demander plus.

Et puis, Sam était le maître de Cul-de-Sac désormais. C'était un honneur qu'il avait refusé avec obstination. Quand il avait finalement accepté d'occuper les lieux, il n'en avait tiré aucune joie ni fierté. Il vivait à Cul-de-Sac par devoir, pour gérer les affaires des Baggins, et cette responsabilité était un fardeau qu'il avait endossé, et endossait encore chaque jour, alors qu'il était revenu de Mordor sans le véritable maître de lieux, Frodo Baggins.
La blessure était encore là, béante, trois ans après la traversée du tunnel de Shelob, trois ans après avoir vu son maître tomber et être enlevé par les orcs. Trois ans après la course effrénée qui l'avait mené jusqu'en haut d'une tour désespérément vide de Frodo. Il ne voulait pas y repenser maintenant.

Samwise porta son regard sur la créature qui se tassait au fond de la petite cellule mal éclairée. Elle avait de longs cheveux crasseux qui retombaient sur ses épaules en un rideau de mèches sombres et portait des haillons déchirés et répugnants. De là où il était, Sam distinguait une forme maigre à la peau blanche, une créature qui empestait la maladie.

« Est-ce qu'il a dit quelque chose ? demanda-t-il au Hobbit qui gardait la cellule.

— Rien d'intelligible, non. Un des gars pense que c'est une bestiole comme ce Gollum dont parlait monsieur Bilbo. Mais c'est pas possible, si ? »

Sam frémit à ce nom. Impossible, en effet. Il avait vu Gollum mourir sous ses yeux, après qu'il se soit emparé de l'Anneau que Sam s'apprêtait à le jeter dans le feu de la Montagne du Destin. Une mort misérable, comme il l'avait mérité après les avoir conduits son maître et lui dans le tunnel fatal. Le traître s'était emparé de son précieux pour aussitôt glisser et tomber dans les flammes.

« Ça ne peut pas être lui. Et à ma connaissance il n'en existe aucun autre comme lui.

— Alors c'est quoi ?

— Pour te répondre il faudrait que je m'approche. Il s'est montré agressif ?

— Pas vraiment. Il était à moitié inconscient quand on l'a trouvé. Et quand on l'a transporté ici il s'est un peu débattu mais on l'a maîtrisé sans problème. »