Le captif

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Il fallut plusieurs jours à Frodo pour reprendre son récit. Avoir révélé à ses amis ce à quoi il avait dû s'abaisser pour survivre le rendit malade deux nuits de suite, se réveillant au milieu d'un cauchemar avant de se précipiter sur le pot de chambre pour vomir tout ce qu'il avait pu manger. Sam se réveillait avec lui, lui caressant doucement le dos et les cheveux alors qu'il vidait son estomac dans des spasmes douloureux. Il le conduisait ensuite près de la table de toilette pour l'aider à se rafraichir. Frodo se laissait alors aller à des sanglots bruyants et libérateurs, ceux qu'il retenait tandis qu'il contait son récit les après-midis. Il s'autorisait à se désoler sur son propre sort, dans les bras de Sam qui le berçait contre son cœur.

« Toi seul a vu ce que je suis devenu, Sam, gémissait-il. Pareil à Gollum, craignant la lumière du jour et la compagnie des autres. Je me voyais devenir comme lui un peu plus chaque jour, même si mes pas me rapprochaient peu à peu de chez moi. Et comme je t'en voulais ! Je passais des jours entiers à me demander ce que tu faisais, si tu pensais à moi, à espérer que tu m'aies oublié et à te haïr pour ça ! Je devenais fou, j'étais devenu fou ! »

Sam ne pouvait répondre sans pleurer à son tour, alors il le serrait un peu plus fort contre lui et le berçait doucement.

« Vous aviez le droit de m'en vouloir, murmura finalement Sam. Il est normal que vous ayez ressenti toutes ces choses ! Vous aviez déjà supporté tellement d'épreuves, avec l'Anneau, et puis les orcs, et le tunnel... Oh, monsieur Frodo, ne croyez jamais que je puisse vous en vouloir d'avoir perdu foi en moi. Comment le pourrais-je ? J'ai perdu foi en moi-même bien des fois, et je me suis maudit sûrement bien plus que vous ne me maudirez jamais.

— Oh, Sam...

— Mais vous avoir retrouvé, vous voir et vous toucher, eh bien, gloire et trompettes ! C'est la plus belle chose possible, et elle surpasse bien toute la douleur de vous avoir perdu. »

À ces mots, Frodo rit, et Sam en trouva son cœur gonflé de gratitude.

« Nous avons été bien timides l'un avec l'autre depuis que je me suis sauvé de chez l'Ancien avec Merry et Pippin, dit-il d'une voix un peu honteuse. Je voudrais que tu m'embrasses encore, si tu veux bien. Et peut-être... peut-être d'autres choses également, si l'idée ne t'est pas trop écœurante à présent...

— Jamais ! » s'exclama Sam avec force.

Il y avait tant de véhémence dans sa protestation que Frodo se mit à rire de nouveau. Et Sam, encouragé par ce son léger se pencha sur Frodo pour l'embrasser. Il n'y avait plus rien de timide dans ce baiser. Frodo émit un petit gémissement d'abandon, émerveillé de trouver dans l'étreinte de ce compagnon si familier le frisson du désir. Sam laissa ses mains se promener un peu sur le corps de son maître, ébloui de ne plus rencontrer le contact anguleux des os qui saillaient sous la peau mais la douceur de la chair. Ses doigts glissèrent sous la chemise de nuit, découvrant la cuisse et s'attardant sur la hanche. Il hésita. Frodo lui prit la main et y déposa un baiser.

« Ne fais rien que tu ne souhaite pas faire, murmura-t-il.

— C'est que... je ne voudrais rien faire que vous ne voudriez pas, Frodo. »

Il y eut un silence, puis Frodo pouffa avant de se mettre à rire pour de bon.

« Sam, dit-il en reprenant son souffle, nous n'allons pas aller très loin, toi et moi, à ce rythme-là.

— Ce n'est pas une course, rétorqua Sam, le visage écarlate.

— Non, bien sûr que non. Je sens que je t'ai embarrassé. Excuse-moi. Je promets de te le dire, si tu fais quelque chose qui ne me plaît pas. Et j'attends la même chose de toi.

I will not say the Day is doneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant