La guérisseuse

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« Il faudra faire appel à mademoiselle Grubbs, dit l'Ancien d'un ton qui ne souffrait pas de contradiction. Que tu le veuilles ou non, Sam, tu ne pourras pas le soigner à toi tout seul.

— Je sais, Pa. Je sais que certains maux ne se voient pas de l'extérieur. Il est peut-être plus que simplement amaigrie et épuisé. »

Sa gorge se serra mais Sam poursuivit.

« Je veux rester avec lui, comme j'aurais dû le faire il y a trois ans.

— Mange d'abord quelque chose. Après tu mettras une paillasse près de son lit si ça te rassure. »

Hamfast Gamgee avait compris bien des années auparavant qu'il était vain d'essayer de séparer Sam de son monsieur Frodo. Il avait été le premier surpris de le voir revenir sans son maître, et parmi les seuls à ne pas questionner l'éternel chagrin dans lequel Sam était plongé depuis. Il avait encouragé son fils à courtiser la petite Cotton, espérant que cela lui fasse tourner la page, mais il avait toujours su, au fond, que ça ne suffirait pas. Quand Hamfast avait reconnu Frodo quelques heures plus tôt, le choc de le savoir en vie et si mal en point avait laissé place très vite à un soulagement profond. Enfin, il allait retrouver son Sam, enfin il ne verrait plus son fils errer comme une âme en peine, le cœur lourd de chagrin et de culpabilité. Peut-être qu'il allait enfin épouser Rosie, qu'il serait un et entier après ces années à n'être qu'une moitié de lui-même.

Sam avala sa soupe en vitesse dès que le salon fut débarrassé des traces de leur ouvrage. Il allait se lever pour rejoindre Frodo quand son père l'arrêta. Il contint difficilement son agacement mais laissa l'Ancien dire ce qu'il avait à dire.

« Sam, je sais que tu veux faire ce qu'il y a de mieux pour monsieur Frodo. Je dois te mettre en garde : peut-être qu'il ne voudra pas que tu l'aides. Peut-être qu'il ne voudra de l'aide de personne. Ce que nous avons fait cet après-midi... c'était pour son bien, mais contre sa volonté. Il pourra t'en vouloir pour ça.

— Comme il m'en voudra pour le reste, dit Sam d'une voix étranglée. Mais je dois aller contre sa volonté pour lui donner une chance de me pardonner un jour. Je préfère le savoir sain et sauf et sans amour pour moi que de vivre dans un monde où il n'est plus là.

— Sam, mon garçon... tu n'es pas raisonnable. Mais tu es un Gamgee, je sais bien qu'il ne sert à rien de te raisonner quand c'est ton cœur qui parle. Et bien, soit, puisque tu as décidé d'être malheureux.

— Je ne veux pas être malheureux, Pa. Je veux juste... je veux qu'il soit heureux, avec ou sans moi pour prendre soin de lui.

— S'il refuse tes soins, s'il refuse de guérir ?

— Je ferai appel au Roi Elessar s'il le faut. Mais il guérira. »

Hamfast secoua la tête et se contenta de souhaiter une bonne nuit à son fils. Il avait beau avoir l'habitude, l'entêtement de son fils lorsqu'il s'agissait de Frodo le désemparait toujours. C'était comme vouloir se battre tout seul contre une tempête : on pouvait faire autant de moulinets qu'on voulait avec les bras, cela ne ferait cesser ni la pluie, ni le vent, ni le tonnerre.

Lorsque Sam poussa la porte de la petite chambre, sa paillasse roulée sous le bras, il tendit l'oreille pour écouter la respiration de son maître. Elle était irrégulière, assez faible, mais rassurante malgré tout. Sam en eut les larmes aux yeux. Il s'approcha à pas de loup et installa sa paillasse au pied du lit de Frodo, tout à côté de lui mais encore trop loin, si loin. Il aurait voulu l'envelopper de sa chaleur, l'imprégner de sa dévotion et de son amour. Mais il était trop tôt pour cela. Et comment aurait-il pu faire comme si tout n'était pas de sa faute ? S'il avait trouvé Frodo quand il avait fouillé la tour de Cirith Ungol, s'il n'avait pas abandonné ses recherches si vite, s'il avait gardé espoir... Il avait cru Frodo mort, sans quoi jamais il ne l'aurait laissé aux mains des orcs. Mais il s'était assis là, avait chanté sa chanson et n'avait entendu que le silence. Il avait attendu, mais il n'avait rien pu faire. Alors il était redescendu et il avait marché. L'Anneau lui avait parlé, avait essayé de le corrompre, mais comment corrompre une coquille vide ? Quel espoir lui restait-il que l'Anneau aurait pu exploiter à son avantage ?

I will not say the Day is doneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant