Le serviteur

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La routine s'installa vite chez Hamfast Gamgee : Sam passait ses journées près de Frodo, il le faisait manger, s'occupait de sa toilette et de ses soins en lui donnant des nouvelles de la Comté. La première fois qu'il fallut lui appliquer l'onguent, Sam prit mille précautions, effrayé par la maigreur de Frodo et l'idée de le blesser par des gestes trop brusques. Mais la pression sur les muscles endoloris semblant lui faire du bien, Sam gagna en confiance. Il prenait grand soin de ses pieds, usés par de longues journées de marche. Les mollets et les cuisses de Frodo, bien que tristement décharnés, était devenus solides comme du bois à force d'exercice. Sam le flattait là-dessus, essayant de provoquer chez Frodo une réaction, ne serait-ce qu'un sourire.

Mais Frodo restait silencieux. Quand il ne somnolait pas, il regardait Sam d'un air méfiant ou calculateur. La première fois que Sam lui avait massé les pieds avec l'onguent, il ne l'avait pas quitté des yeux une seconde, comme s'il essayait de comprendre ce que voulait réellement l'autre Hobbit. Certains jours, il se débattait lorsqu'on le touchait.

Cela brisait le cœur de Sam, parce que Frodo ne lui pardonnerait peut-être jamais de l'avoir abandonné, mais surtout, parce que ses réactions violentes et terrifiées racontaient en creux ce que Frodo avait pu subir pendant son absence. Les tortures infligées par les orcs dans la tour de Cirith Ungol, les privations, la solitude... Sam était incapable d'imaginer tout ce qu'il avait pu vivre. Comment aurait-il pu ? S'il avait seulement soupçonné que Frodo était en vie et en proie à pareilles cruautés, jamais il n'aurait accepté de revenir dans la Comté. Il aurait retourné chaque pierre du Mordor pour le retrouver. Mais les soldats de Gondor qui étaient partis à la recherche de la dépouille de Frodo avaient été affirmatifs : il n'y avait plus rien à Cirith Ungol. La tour avait été détruite, en même temps que tout le sale ouvrage de Sauron. Sam avait pleuré, crié, supplié, mais dans quel but ? Retrouver un corps ? Cela n'aurait pas fait revenir Frodo.
Mais voilà, il s'était trompé. Les soldats s'étaient trompés. Tout le monde s'était trompé. Frodo avait survécu ; il avait dû parvenir à fuir la tour avant qu'elle ne s'effondre. Comment, Sam ne le saurait que lorsque Frodo le raconterait, s'il acceptait de le faire un jour, si les mots lui revenaient. Tout ce que pouvait faire Sam en attendant, c'était aider son maître à redevenir lui-même. Alors il lui parlait de choses insignifiantes, pour ne pas le replonger dans la noirceur du Mordor qui semblait si souvent hanter ses cauchemars. Parfois, Frodo prononçait un nom, qu'il répétait souvent après que Sam l'ait énoncé, comme s'il testait pour lui-même ces sons étranges qui lui étaient autrefois si familiers. Lorsque Sam chantait des chansons, il arrivait à Frodo de fredonner l'air en un grondement sourd. Peu à peu, la lueur méfiante quitta le regard de Frodo. C'était déjà quelque chose.

Cinq jours après la visite de Violet, Rosie se présenta à la porte. Elle fut bien rassurée de trouver l'Ancien en forme et ne sembla pas remarquer l'ambiance pesante qui régnait dans le trou. Sam était continuellement préoccupé, et les quelques heures que Rosie passa en leur compagnie il les passa les yeux rivés vers la porte de la chambre derrière laquelle se reposait Frodo. La jeune Hobbite s'en alla après avoir pris le thé et s'être bien assurée que Hamfast n'avait besoin de rien, et Sam voulut se précipiter auprès de son maître lorsque son père l'arrêta.

« Samwise, dit-il d'une voix sévère. Cela ne peut plus durer. Tu restes enfermé ici toute la journée, tu ne sors pas... et monsieur Frodo non plus d'ailleurs ! Ce n'est pas bon de rester ainsi cloîtré.

— Mais, Pa...

— Je sais, je sais, il est encore trop faible pour gambader, et trop malade pour que tout le monde le voit. Bon, eh bien emmène-le au moins dans le jardin de derrière. Vous y serez bien tranquilles, et ces quelques pas lui feront le plus grand bien. Tu ne peux pas le garder au lit de la sorte, c'est pas naturel. Un Hobbit a besoin d'être sur ses jambes.

I will not say the Day is doneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant