10 - Appel à l'aide

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Marine passe me voir au cabinet. Fini le treillis-rangers, elle arbore sous son trench un joli chemisier avec un empiècement en dentelle, sur une jupe patineuse. Ma joie de la voir est compromise par la charge de travail qui m'attend. Mes employeurs n'ont pas mis le nez dans leurs dossiers secondaires pendant ma semaine de vacances, si bien qu'il me faut rattraper cinq jours de labeur. Les échéances sont situées à mercredi. Pas le choix, je vais devoir accomplir trois journées en une d'ici là. Des dossiers encombrent la totalité de mon bureau. J'ai presque envie de fermer à clef pour éviter qu'un des avocats ne grossissent la pile avec une nouvelle chemise.

- Tu as l'air très occupée. On peut se voir après ton travail ?

- Je pense rester tard, tu sais, dis-je désolée.

- C'est important, insiste-t-elle.

Cette fille a failli s'attirer des histoires à maintes reprises pour me venir en aide, je ne peux pas lui faire faux bond. J'écarte d'un geste les chemises qui vomissent leurs entrailles sur le bureau et l'invite à s'assoir.

- Pas ici, dit-elle.

Ca doit être particulièrement confidentiel pour qu'elle rechigne à en parler dans un cabinet d'avocats.

Après la fermeture du cabinet, comme convenu, je rejoins Marine chez elle. Beau sonner, pas de réponse. L'invitation était pourtant claire, j'entre. Un désordre inédit s'étale à travers le salon, la table est couverte de bouteilles, derrière, Marine. Dans un état comparable au reste de la pièce. On dirait moi, il y a dix ans. Je m'assois auprès d'elle. Elle commence d'emblée :

- Il me dit qu'il n'est pas prêt, mais moi j'ai presque quarante ans ! Comment je fais s'il n'est pas prêt ?!

D'une voix hésitante, elle poursuit :

- ... Chaque jour qui passe réduit mes chances de tomber enceinte.

C'est donc ça.

- ... Je te regardais avec Louis le soir de notre expédition, j'aurais tellement aimé être à ta place.

Un petit silence, pour s'accorder un autre verre de Vodka. La bouteille d'Absolut est au trois quarts vide.

- ... J'aurais du coucher avec Kévin plutôt qu'avec son frère. Je serais déjà maman, il aime s'occuper des enfants, lui.

Euh... Elle a oublié qu'elle parle de mon ex-mari, là ? Je le lui accorde, c'est un très bon père mais pas une banque de sperme.

- Tu serais probablement célibataire, maintenant.

- Et alors ? Quitte à choisir... je suis capable de me débrouiller seule avec un enfant.

- Je n'en doute pas.

- Et puis, il continue de s'occuper de louis, non ?

Elle se lève d'un bond :

- Je l'appelle ! Je vais lui demande de me faire un enfant. Avec lui, ça marche du premier coup, parait-il. Ben, on va voir ça !

Le spiritueux suédois lui confère un peu trop d'audace.

- Non, ne l'appelle pas ! Tu le regretteras demain..., interviens-je.

- Si il refuse, peut-être, pas s'il accepte.

- Et pourquoi, il accepterait ? Il est déjà en couple et tu es bourrée. Je le connais assez, il ne profiterait pas d'un moment de faiblesse.

- Il a tort. C'est mon soir d'ovulation.

Je lui confisque son portable. En représailles, elle s'isole dans les toilettes. Il faut que je prévienne Gaétan de mon contre temps. Louis et lui vont m'attendre. Et partie comme est Marine, cela risque de durer... Mais où se trouve mon portable ?

A travers la porte des toilettes, j'entends une voix éraillée et plaintive passant de la gamme des graves aux aigus et déclamer un message insensé.

- Kévin, s'il te plait, vient me faire l'amour, je suis chez moi.

Elle réclame les services de mon ex-mari comme on commande une pizza !

- ... Tu me mets enceinte, je ne te demanderai rien en échange

Avec mon portable et sa voix alcoolisée, pour un peu, il va croire que cela vient de moi !

- Lâche ce téléphone de suite !

La porte s'ouvre sans effort. Elle est assise sur la cuvette, la culotte sur les chevilles. Surprise de me voir.

- On ne peut pas pisser tranquille !

- Rhabille-toi. Rends-moi ce téléphone et va te coucher. T'en as assez fait.

- J'ai une autre idée, propose-t-elle, on élève ton fils ensemble.

Devant ma moue dubitative, elle ajoute :

- Je te rappelle que je m'en occupais beaucoup à une période.

Pendant la période où je croyais que Cédric était toujours vivant. Merci de me le rappeler.

- Non.

- Pourquoi ?

- Parce que Louis a déjà un papa et une maman. Et puis, tu peux devenir mère toi aussi. Tu veux que j'aille parler à Benjamin ?

J'ai raccompagné Marine dans son lit avec une bouteille d'eau sur le chevet et une bassine au pied du lit. Sur le chemin du retour, j'imagine ce qu'aurait été son avenir si Kévin l'avait choisie. Ils sont tous les deux issus d'un milieu aisé, attaché aux apparences et à la réussite sociale ce qui les a conduits à des études laborieuses et gratifiantes. Sous des dehors distants et réservés, ils sont en réalité, très chauds. Quelque chose me dit qu'avec Marine, Kévin n'aurait pas ressenti le besoin d'aller voir ailleurs. Béné s'abreuve d'émissions de cuisine et de télé réalités, tandis que moi, j'ai constamment eu besoin qu'il me tire vers le haut. Je comprends son hésitation, c'est un peu comme avoir à choisir entre la peste et le choléra.

Marine et lui pourraient être des parents comblés dans une jolie villa. Béné et moi serions au stade où on en était avant lui. Elle, smicarde dans un logement modeste et moi, à descendre des bières en survêtement sur le canapé d'un pote.

L'élégante pharmacienne n'a pas eu la chance qu'elle méritait. Durant toutes ces années, où elle est devenue mon amie, je n'ai pensé qu'à mes problèmes sans considérer son vide intérieur. Quelle égoïste, j'ai été ! Il est temps de me rattraper pour éviter de griller en enfer. Ma mission sera de convaincre de Benjamin de devenir enfin adulte.

L'audacieuse Sofia Capriaglini Tome 8 : comparution immédiateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant