21 - L'apparition

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- Ben alors, t'en es où maintenant ?

Cette voix sortie de nulle part me fait faire un tour à cent quatre-vingt degrés sur moi-même.

- Qu'est-ce que tu fous ici ? demandé-je stupéfaite en découvrant ... Cédric.

Il se trouve en contre jour face à moi dans la cuisine mais je reconnais son allure faussement négligée, la ceinture de son jean qui lui tombe sur les hanches, ses cheveux décoiffés qui lui donnent l'air de sortir du lit.

- Quel accueil ! J'étais plus cool avec toi quand tu venais squatter mon appart..., plaisante-t-il.

- Tu es mort ! dis-je surtout pour me convaincre. Tu n'existes que dans ma tête. Tu sais quoi ? Je compte jusqu'à trois et tu disparais.

Sans tenir compte de mon rejet, il se rapproche.

- C'est ça que tu veux ? Que je disparaisse ?

Croiser son regard me provoque la sensation d'un coup de poignard. Je croyais avoir surmonté sa disparition mais apparemment, ce n'est pas encore tout à fait le cas.

- Non, avoué-je. Tu me manques affreusement.

Il me sourit, gardant les bras croisés sur son torse. Il est si près que je pourrais le toucher en tendant la main.

- T'as trouvé à te consoler depuis, objecte-t-il.

- Mouais..., avoué-je, presque fautive.

- Il a changé tant que ça, Gaétan ?

- Tout le monde peut changer, lui aussi.

- Et tu lui ai retombé dans les bras, dit-il dubitatif.

- Tu sous-entends que je suis avec lui pour essayer d'oublier Kévin ?

Conversation surréaliste avec un fantôme qui en plus me fait la leçon sur mes fréquentations. Prendrais-je de la drogue à mon insu ?

- Ah mais, je ne sous-entends rien du tout, moi.

N'y tenant plus, j'ouvre les bras et l'accueille contre moi. Je sens à présent son visage enfoui contre mon épaule, devine son dos musclé à travers ses habits. Son parfum aussi semble réel.

- C'est pas bon signe, si je commence à faire des câlins à des gens morts, tenté-je de plaisanter pour dédramatiser.

- Ben, c'est soit t'es médium, soit t'es complètement dingue. Bah...j'ai bien une idée là-dessus, me taquine-t-il. Si Kévin l'apprend, attends-toi à ce que, le docteur Kabadian te file encore des « bonbons ».

Je desserre mon accolade pour contempler son visage. Il n'a pas trop changé, peut-être une ou deux rides autour des yeux. Je dépose un baiser amical sur sa joue. Une discrète repousse de barbe me picote les lèvres, donnant encore plus de crédit à la réalité.

- T'as raison. Faut qu'on soit discret.

- Maman avec qui tu parles ? demande une voix derrière moi.

La présence de Cédric m'a semblé tellement réelle, que je suis prête à le présenter à Louis. Seulement quand je regarde devant moi à présent, il n'y a plus que la faïence éclairée par la lumière de la fenêtre. Louis continue de me fixer mi-inquiet, mi-inquisiteur. Cette fois, il va prévenir son père.

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Marine m'attends devant la médiathèque qui présente une exposition de peinture. Je ne connais pas grand-chose à l'art. De son côté, elle voue une passion aux peintres russes du début du vingtième siècle et souhaite me la faire partager. Déjà partager un moment avec elle, même si c'est pour découvrir des œuvres en noir et blanc, ça me va. Elle est intarissable et pourrait toutes me les commenter, pourtant, elle semble presque pressée de se rendre à la cafétéria.

- Louis m'a téléphoné.

J'entrevois le sujet qui dérange. On a évité depuis des années d'en reparler ensemble. Je ne suis pas spécialement fière d'avoir des hallucinations, encore moins d'y croire et je pensais vraiment qu'elles étaient derrière moi.

- Il t'a dit quoi ?

- Que tu parlais toute seule comme si ton interlocuteur était en face de toi. Il était inquiet. C'était Cédric ?

- Son père lui a dit de me surveiller. Si j'avais eu le temps de lui en parler avant, il n'aurait pas eu peur.

- Tu ne réponds pas à ma question, insiste-t-elle.

- L'autre jour, j'ai vu Cédric dans la cuisine, exactement comme je te vois. Je pouvais aussi le toucher.

Elle m'écoute, compatissante pour ma joie mêlée de tristesse mais aussi avec une sortie de pitié qu'on a pour les gens qu'on sait déjà mal barrés.

- Qu'est-ce que vous avez tous ? Des internautes chattent parfois pendant des années ensemble sans jamais se rencontrer, Louis poursuit des cibles virtuelles sur sa console. Pourquoi je n'aurais pas le droit de parler de temps en temps à celui qui a partagé ma vie ? Parce qu'il est mort tout doit s'arrêter entre nous ? Il ne me reste plus que la mauvaise fois à plaider.

- Il te manque ? devine-t-elle.

- Son amitié me manque. Il était tellement... gentil.

Les yeux me piquent, voilà que je parle de lui au passé, donnant raison à ceux qu'ils l'ont écarté des vivants. Elle me prend la main par dessus la table.

- Moi aussi.

L'audacieuse Sofia Capriaglini Tome 8 : comparution immédiateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant