2 - Comme un malaise

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Richard remplit les flûtes de Champagne. Sabrina en profite pour porter un troisième toast.

- A mes potes de cellule ! Lâche-t-elle, suscitant la stupeur auprès de son auditoire.

Elle se rend compte de sa bévue.

- ... Je plaisante, se rattrape-t-elle en gloussant de plus belle.

- T'as entendu ce qu'elle vient de dire ? demandé-je à Béné installée à mes côtés.

- Malheureusement, oui.

Elle semble mal à l'aise. Un regard vers Bernadette assise sur le canapé confirme mon pressentiment : elle est carrément décomposée. Ce n'est donc pas une blague.

- Tu m'expliques ?

- Pas ce soir s'il te plait... proteste Béné avec une moue boudeuse.

Béné a installé les plats sur une grande table pour un buffet. Richard récupère une assiette, vient s'installer près de Bernadette et engage la conversation. Socialement, tout les oppose. La mère de Béné était femme de ménage, Richard a été un des avocats les plus en vue. Cette soirée mixe aussi bien les générations que les origines. Tous ces gens qui m'impressionnaient avant : mon ex-patron, son intimidante épouse et la réfrigérante Caroline, sont devenus des convives souriants.

Louis semble porter en admiration son tonton Benjamin. A vrai dire, j'aurais préféré qu'il se trouve un modèle plus sérieux. A travers la fenêtre, j'observe mon beau-frère sous le porche en compagnie de Gaétan et de Sabrina qui tirent sur leur clope.

Je reviens vers Béné qui remplit les coupelles de biscuits apéritifs, j'en picore une poignée et lui glisse :

- C'est quoi le malaise avec ta frangine ? Elle a encore tenté de brancher Kévin quand vous étiez ensemble ?

- Non, ça c'est toi qui t'en aies chargée. Pour Sabrina, je n'ai pas envie d'en parler, je t'ai dit.

Bonne ambiance.

- Si c'est le cas, elle n'a pas totalement renoncé... mais à vrai dire, elle aurait plus le beau-frère dans le viseur..., lui glissé-je.

Trop tard, la maitresse de maison s'est déjà éloignée.

A travers la vitre, j'observe Sabrina rire sans le son, et profiter de la moindre occasion pour toucher le bras de Benjamin ou se coller à lui. Marine se fait attendre. Il lui a dit au moins à Sabrina qu'il était en couple ? Elle connait sa cousine mieux que moi, elle ferait bien de rappliquer. Mais c'est quoi cette cigarette qu'ils se passent de main à main ses trois là ?

- T'as vu maman ! m'interpelle Louis.

- Plus tard chéri...

- Regarde ! insiste-t-il. Je ressemble à tonton Benjy.

Je consens à dévier le regard de ma cible. Louis a toujours son maillot de baskets. Il s'est collé des tatouages malabars sur les avant-bras et fait semblant de fumer une cigarette en chocolat. Mais non ! Elle n'est pas en chocolat.

Je déboule dehors au milieu de leur petite assemblée.

- Je peux savoir à qui c'est ça !?

Ils m'observent à demi-surpris, emmitouflés dans leur manteau. Le vent froid est mordant, je suis en chemisier. Je commence à comprendre pourquoi Sabrina se collait avec autant d'insistance à Benjamin. Ils ricanent bêtement. Juchée sur ses talons de cagole, l'ancienne lolita est à présent presque aussi grande que les deux garçons. En tout cas nettement plus que moi. Ils me toisent, un agaçant sourire au coin des lèvres. Je fulmine. Je dois avoir l'air d'une folle furieuse.

- J'ai retrouvé mon fils qui s'apprêtait à tirer dessus.

- Désolé, dit calmement Benjamin. On a du le faire tomber.

- Désolé ? C'est tout ce que tu trouves à dire !? Tu ne fumes pas de bédo ici, réveillon ou pas ! Pense à ton neveu et à ta nièce ! ajouté-je en tournant les talons, avant que le froid ne me statufie sur place.

- Faut de détendre, Capriaglini ! m'apostrophe Gaétan pour m'énerver d'avantage.

Pour une fois, je me garde de répondre à sa provocation. Il fait trop froid pour tenir une minute de plus. J'ai bien conscience que je réagis un peu trop vivement. Benjamin est certes négligeant, mais rien ne m'obligeais à lui crier dessus. Avant la fugue de Louis, je me serais contentée de le sermonner gentiment, avant d'avoir Louis, je me serais incrustée pour tirer dessus.

Nos convives mettent fin à leur expérience glacières et finissent par rentrer. Kévin les invite à se servir.

- Papa, Fiona c'est une balance ! Elle raconte à mamie que j'ai fumé un joint.

Kévin arrondit des yeux, choqué par les paroles de son fils de dix ans. Il me lance un regard affolé.

Quelqu'un d'autre s'étonne des paroles de Louis mais pour une tout autre raison.

- Papa ?! Je croyais que c'était le môme de ta sœur... S'étonne Sabrina.

La colère de mon mari se mue en un sourire crispé. Malgré l'habitude, cette explication demeure embarrassante face aux gens qui nous ont connu avant. Sabrina lâche en passant près de moi :

- C'est chanmé votre histoire ! Et on dit que c'est moi qu'est chelou !

Heureusement pour cette grande bringue qu'elle s'assoit à distance, j'ai très envie de lui faire bouffer son manteau en fausse fourrure.

Richard m'a embauchée dans son cabinet quelques années avant de prendre sa retraite. Au décès de ma mère, j'ai découvert une photo de lui, beaucoup plus jeune dans ses affaires. Il m'a avoué avoir eu une relation avec elle avant ma naissance. Un test de paternité nous a appris qu'il était mon père biologique. Sauf que Kévin avait falsifié le test. Richard n'a pas été dupe et a deviné la supercherie, malgré tout, il m'a accepté comme sa fille. On sait tous les trois la vérité mais on continue de faire comme si.

Le problème avec Richard, c'est qu'au bout de trois verres, il dit tout ce qui lui passe par la tête, sans filtre. Il intervient auprès de Sabrina en désignant Kévin qui s'éclipse déjà.

- Va falloir vous y faire mademoiselle. Depuis le temps qu'il nous joue du pipeau, celui-là !

L'audacieuse Sofia Capriaglini Tome 8 : comparution immédiateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant