13- Chamailleries

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Un peu égoïstement, j'avoue, je crains que mon nouveau colocataire ne rencontre une autre femme. A ma connaissance, il n'est jamais longtemps resté célibataire. J'ai surtout peur qu'il digère la trahison avant moi et qu'on redevienne des étrangers qui ne se voient qu'occasionnellement. En attendant, je profite du quotidien. Louis l'accepte. Voilà aussi plusieurs jours que Gaétan ne m'a pas fait de remarques salaces. Faut-il y voir un signe de renoncement à la provocation ?

Sur son portable, il consulte un site de rencontre. Il fallait s'y attendre.

- Elle est bonne celle-là...

Ben... J'ai crié victoire trop vite.

- Tu te cherches une meuf ? me renseigné-je à la fois intriguée et soucieuse.

- Non. Juste tirer un coup, marmonne-t-il sans quitter son écran des yeux.

Après toutes ses années à subir sa vulgarité, il parvient encore à me choquer.

- Très classe !

- Sans blague ! Je suis en chien, là. J'ai envie de baiser. Ca va faire trois mois que je n'ai pas baisé, tu te rends compte ? J'ai la prostate qui va lâcher là !

- Heureusement que mon fils est couché pour ne pas entendre ça !

- Je ne dirais pas ça devant ton fils, tu me prends pour qui ? me sermonne-t-il.

Après un moment passé à consulter les profils, il ajoute :

- Et toi, t'as pas envie d'un mec ? Regarde celui-là. C'est ton genre, non ?

Il fait à présent défiler des profils masculins et détermine à ma place qui ferait l'affaire ou qui est complètement hors course. Désabusée, je le laisse à ses suppositions.

- Souris, m'ordonne-t-il.

- Hein ?!

Je grimace. Trop tard, la photo est prise. Se passant de mon accord, il me crée un profil qu'il balance sur le site. Au moins, il n'a pas cru aux révélations de Louis. Moi-même, je ne sais plus qui m'attire. Il mérite toutefois que je proteste un minimum.

Je tente de lui arracher son portable des mains.

- Laisse, m'arrête-t-il d'un geste de la main. Aide-moi plutôt à compléter : brune, attirante, on a le droit de mentir, ajoute-il malicieusement.

Il guète ma réaction. Je lui montre mon majeur menaçant. Nous sommes décidément très matures ensemble.

- ...imprévisible, aussi, complète-t-il. Plus qu'à attendre les messages.

L'affaire faite, il repose son portable.

- ..Tu vas pécho, tu me remercieras, conclut-il sûr de lui.

J'en suis moins sûre.

Un soir, Gaétan m'annonce :

- M'attends pas ce soir, j'ai un rencard.

- Ah ! Je dissimule de mon mieux une pointe de déception.

- Qu'est-ce que t'as ? Ca t'embête ?

- Non, tu fais ce que tu veux, t'es libre.

- C'est ça.

Il me saisit par les épaules et me dépose une bise sur la joue avant de partir. Chemise blanche exceptionnellement classe. Merde ! Il sent bon. J'envierais presque celle qui partagera son lit avec lui ce soir. Heureusement qu'il ne lit pas dans mes pensées.

Impossible de trouver le sommeil, Louis couché, je regarde une série sur le canapé, à demi-emmitouflée sous un plaid. Une bouteille de vin fraichement ouverte trône sur la table basse.

Vers une heure, il rentre.

- C'était bien ta soirée ? je lui demande, assaillie par une curiosité un brin masochiste.

- Et toi ? jauge-t-il en dévisageant mon pyjama. Il continue de m'observer, alors que je fixe l'écran sans plus prêter attention à l'intrigue.

- Tu fais la gueule ? demande-t-il en se laissant tomber près de moi sur le canapé.

- Non, pourquoi ?

Il glisse la main dans mes cheveux et enroule une mèche autour de ses doigts.

- Menteuse. Je te connais assez.

Je me retiens de sourire. J'adore qu'on me touche les cheveux. A croire qu'il s'en souvient. J'ignore avec un brin de frustration ce qu'il a fait de sa soirée et j'ai bien envie de le découvrir.

- Alors ? Raconte, insisté-je.

Il se contente d'afficher un énigmatique sourire.

- A une condition. Tu rencontres le type qui t'as envoyé un message.

Je le regarde surprise.

- Demain, tu lui proposes un rencard. Je te garde ton fils. Tu t'épiles, tu te coiffes, tu mets une robe sexy. C'est vrai que pour te rendre attirante, y a du boulot, ... commence dès le matin ! me conseille-t-il perfidement.

J'attrape mon verre et le lui balance à la figure. Du vin rouge. De vilaines marques écarlates souillent à présent sa chemise. Je regrette aussitôt.

- Désolée.

- Tu vas me le payer, poivrote !

Comptant sur l'effet de surprise, avant que je n'ai eu le temps de fuir, il revient du frigo avec un tube de ketchup.

- Pas ça! Tu vas tout tacher !

- M'en fous, ce n'est pas chez moi !

Déjà il me bloque les bras et de son autre main brandit le flacon au-dessus de ma tête.

- Tu sais quoi ? Demain, tu me laves ma chemise et tu la repasses ensuite. Je ne veux voir aucune tache.

- Je ne sais pas repasser.

- Tu vas apprendre.

- Tu rêves !

- Tu l'auras voulu.

Sourd à mes protestations, il presse le flacon.

Mais beau appuyer, secouer, rien de vient. A cet instant, je bénis mon fils d'avoir fini le ketchup en douce et lui rit au nez.

- Tu ne t'en sortiras pas comme ça ! enrage-t-il.

- Et tu vas me faire quoi avec ton tube vide ?

- Une fessée cul nu, me balance-t-il sérieusement.

Heureusement qu'on est dans la pénombre, parce que je me sens rougir. Je reste sans voix. Il doit se dire qu'il a un peu trop débordé. Après tout, je l'héberge, il me doit donc un certain respect.

- Excuse-toi, déjà, ce sera un début, se ravise-t-il.

- Pas question !

Déjà, il glisse les mains dans la ceinture de mon pantalon. Ses doigts au niveau de mes hanches me surprennent et me font frissonner. Il descend un peu la ceinture, guettant ma réaction. Extérieurement, je ne laisse rien paraitre car à l'intérieur une douce chaleur de répand dans mon bas-ventre. Il s'attendait sûrement à ce que je me débatte, crie... Il n'en n'est rien. Déçu, il abandonne et part de coucher. J'ai envie de le rappeler. Après son départ, imaginer, la suite potentielle de ce rapprochement, me provoque une vague de désir. J'avais à la fois envie de continuer cette chamaillerie amusante et aussi qu'il me déshabille. Il me frustre doublement.

Bon, en fait, non ! Ce n'était aucunement le moment de flancher. Voilà vingt ans qu'il ne s'est rien passé d'érotique entre nous et depuis que Kévin a déserté j'ai un peu fait l'impasse sur l'épilation. Pas sûr que Gaétan affectionne la fourrure...

L'audacieuse Sofia Capriaglini Tome 8 : comparution immédiateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant