Chapitre 18 : Tenez la ligne !

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La situation s'aggravait d'heure en heure. Au poste de commandement et transmission des informations, Khalli s'affairait à retranscrire les rapports de sorte à fournir à l'état major des navigateurs et chevaliers des informations filtrées et vérifiées. Et la situation n'allait pas au mieux. C'était d'abord une, puis deux, puis six escouades qui avaient été attaquées.Un monstre pouvait défaire une escouade seul, et les gardes étaient souvent premiers à tomber en nombre, et pourtant... Il fallait tenir le temps que la palissade soit en place.

Aussi, la jeune femme continuait d'envoyer des escouades vers une mort plus que probable. Les messagers et les blessés continuaient d'affluer, tandis que les escouades gardées en réserves étaient envoyées les unes après les autres vers les zones critiques.

Une bonne nouvelle finit cependant par arriver. Un garde tremblant arriva en courant avec les forces qui lui restaient avant que ses jambes ne l'abandonnent et qu'il ne s'effondre non loin de Khalli.

"Navigatrice, on en a eu une! position 67-C ! On a perdu un grand nombre d'hommes et les escouades environnantes sont en repli avec tous les blessés, mais la menace locale a été abattue. Le chevalier Thierelie et le chevalier Bren ont réussi à tuer la bête! Nous avons besoin de renforts pour maintenir le contrôle de la zone, mais on l'a eue!"

Le garde défaillit et fut rapidement pris en charge par des brancardiers, mais c'était une bonne nouvelle. Khalli transmit l'information.

Une vingtaine de minutes plus tard, dans l'agitation permanente, Khalli vit un cortège de brancardiers arriver. Bren était sur l'un des brancards. Il était d'une pâleur fantomatique et barbouillé de sang, mais ce qui arracha un cri à Khalli, ce fut l'absence de son bras droit. Un infirmier s'efforçait de contenir l'hémorragie, mais il fallait au plus vite l'amener à l'infirmerie.

Khalli aurait aimé se jeter auprès de lui, veiller à ce que tout se passe bien pour lui, mais elle savait qu'elle devait ravaler ses larmes au goût si amer, et, pour le bien de tous, garder son rôle.

Nitram s'affairait également de son côté. Il aurait bien préféré s'occuper des chèvres, mais en ce moment, Belle et Aglae avaient moins besoin de lui que tous ces blessés. Nitram n'était pas athlétique, mais sa forte corpulence lui permettait de porter les brancards sans soucis. Il faisait des allers-retours entre la palissade qui se complétait aussi rapidement que possible, et les tentes des guérisseurs et médecins. Plusieurs fois, les blessures des sinistrés qu'il transportaient faillirent lui arracher un haut-le-cœur. Lui qui n'aimait déjà pas la vue du sang... il était servi.

L'un des gardes qu'il transportait avait perdu sa mâchoire inférieure. Le cris de malheureux et les paroles qu'il essayait de prononcer, tout était réduis à des gargouillis sanglants. Cette fois, Nitram ne put s'empêcher de lâcher le brancard un instant pour aller vomir un peu plus loin. Il était prêt à tout donner, mais les horreurs de la guerre lui faisaient tant de mal...

Thibault quant à lui, s'occupait des arbres abattus. Il se sentait relativement épargné dans cette tension ambiante. Il ne voyait pas de monstres, ni de sang. Ni d'informations capitales. Il pouvait se concentrer sur la sélection d'arbres suffisamment droits pour en tirer de bon pieux, et sur le marquage et la coupe des branches de ceux-ci. Alors qu'il apportait un pieu vers la palissade, il croisa le regard d'Anna.

L'artilleuse avait un regard des plus étranges. Un mélange de crainte, de terreur, de haine et de détermination déformait son visage. Mais elle tâcha de sourire en croisant le regard du jeune voilier. Il ne semblait pas à sa place. Depuis qu'elle le connaissait, il était aérien, la tête dans les nuages, ou les étoiles. Bref, en peu de temps on pouvait comparer Thibault à un albatros, prince des nuées que des ailes de géants empêche de marcher.

Cloué au sol par ces lourds pieux, Thibault peinait mais renvoyait une image encourageante de celui qui fait de son mieux et s'efforce d'être digne de confiance tout en faisant confiance aux autres.

Anna se dit que c'était un exemple à suivre, et lutta contre les images et souvenirs qui l'assaillaient. Cependant, elle finit par s'y abandonner, revisionnant la mort de sa mère et la brutalité sauvage des monstres ignobles qui avaient chassé l'humanité de ses terres et massacré tant d'innocents.

"Des proies, pensa-t-elle avec furie. Pour eux nous ne sommes que des proies!"

Un bouillonnement intérieur la déborda, et, poussant un cri de rage, elle s'élança seule de l'autre côté de la palissade en direction des bruits de combats.

"Une artilleuse en forêt est inutile? C'est ce que vous allez voir, allez vous faire foutre, haut commandement, MOI je les ai vues ces machins, et je vais pas laisser des gens se faire trucider sans faire payer à ces saloperies le prix du sang et de l'horreur!"


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