Cinq heure cinq, Haru se réveilla en sursaut. Un aspirant s'époumona en un bref appel sonore dans le dortoir:
"Debout là d'dans !"
Suivant du regard les deuxièmes années, il s'empressa de mettre son uniforme et suivit les premiers à partir. Il arriva alors dans une grande cour où deux chemins circulaires se croisaient en son centre. Bien vite, des gardes arrivèrent, distribuant deux seaux et une perche à chaque apprenti. Suivant toujours le mouvement, Haru remplit ses seaux de gravats et les suspendit aux extrémités de sa perche. Il s'élança alors à la suite des premiers avant de s'apercevoir que de l'autre côté, les écuyers faisaient de même sur le second cercle. Il chercha alors Bren du regard sans le voir.
Ce n'est qu'alors qu'il se rendit compte qu'il devait calculer son rythme pour passer entre deux écuyers aux intersections des cercles. S'y prenant un peu tard, Haru dut bondir pour passer avant l'écuyer qui arrivait. Celui-ci n'avait même pas ralenti. Sa large carrure fit penser à Haru que l'écuyer souffrirait moins que lui d'une collision. Arrivant à la seconde intersection, il vérifia que l'écuyer qu'il avait croisé était bien encore assez loin. Il accéléra un peu pour s'accorder une bonne marge avant d'apercevoir Bren qui arrivait, bien plus loin. C'est alors qu'un choc terrible à sa gauche le souleva, le projetant dans les airs. Il décolla du sol pour s'écraser trois mètres plus loin avec ses seaux. L'écuyer l'avait délibérément chargé. Il atterrit sur un sol dur et rocheux. Ses mains soutenant la perche n'avaient pu se libérer à temps pour tenter d'amortir le choc. Sa tête heurta lourdement le sol avant que ses seaux ne viennent s'écraser sur lui. Sa hanche droite encaissa la plus grande partie du choc et tout son flanc se mit à le brûler douloureusement.
Tentant de se redresser tant bien que mal, Haru vit Bren qui s'approchait de lui, au pas de course, sa perche chargée sur son puissant dos. L'écuyer qui l'avait percuté avait disparu. Il faut dire que le choc l'avait aveuglé; sa vision était parsemée de flashs lumineux. Arrivé à son niveau, Bren repositionna sa perche sur son épaule, libérant une main qu'il tendit à Haru qui profita de cette aide pour tenter de se relever. Un chevalier arriva alors pour demander à Bren de promptement poursuivre sa course, l'exercice continuait. Haru dut alors recharger ses seaux de gravats et reprendre son chemin sous le ton autoritaire d'un sergent de la garde. Malgré sa blessure à la tête et son flanc à vif, Haru se démena pour poursuivre les exercices matinaux avec le reste des gardes novices jusqu'à l'heure de la pause méridienne. Là, les jeunes recrues purent enfin s'asseoir et souffler un moment tandis que des gardes passaient pour leur verser une bouillie de champignons.
La plupart des nouveaux s'étaient regroupés, mais Haru, peu bavard, était resté seul. Un groupe de novices plus âgés vint alors s'installer à proximité, et finalement, l'un d'eux l'invita à les rejoindre.
"L'esprit de la garde, c'est pas vraiment chacun dans son coin, lui dit ce dernier en souriant, moi c'est Kennec, voici Aoued, Yoru et Tiermond."
Les nommés le saluèrent tour à tour de la tête, occupés à vider leur bol.
"Tu verras, poursuivit Kennec, on s'habitue très vite à l'entraînement."
Au mot "entraînement", Haru tiqua:
"Je trouve leur entraînement bien étrange, porter des seaux chargés de gravats passe encore, mais pour ce qui est du reste, j'ai l'impression d'être réduit à l'état de mannequin d'entrainement pour les écuyers. On apprends qu'à encaisser, esquiver et encaisser de nouveau. On ne s'est arrêté d'endurer les coups des écuyers que pour nettoyer des armes et des rues..."
En réponse, Kennec lui sourit avec compassion, visiblement heureux que Haru soit sortit de son mutisme. Ce dernier se rendit alors compte qu'il avait oublié de se présenter, ce qu'il fit alors avant que Kennec ne lui réponde:
"Effectivement, on ne nous apprends pas à manier les armes, les entraînements sont pour le moins rares en ce qui concerne le maniement de la lance ou de l'arquebuse, mais l'essentiel de notre formation est de nous rendre plus résistant, plus solide, et toujours prêt à aider. On nous entraîne à survivre et à protéger. Pour moi, ce rôle est tout aussi important que celui des chevaliers. Ils sont le fer de lance, nous somme le bouclier, et les auxiliaires de la cité. Si on nous entraînait comme les chevaliers, nous serions mal préparés pour notre rôle. Celui-ci peut te paraître bien ingrat, mais tu te rendras vite compte que l'ambiance et la solidarité sont bien plus présent dans la garde que chez les écuyers! A mes yeux, la compagnie d'un garde est plus agréable que celle d'un chevalier. Ceux-là ont rarement d'autres objectifs que ceux qui ne concernent que leur personne; ils sont rarement altruistes, alors que les gardes, si ils ne le sont déjà, le deviennent rapidement en rejoignant nos rangs."
Une discussion animée s'engagea alors dans le groupe, à laquelle Haru prît part avec plaisir. Il en oublia presque ses blessures causée le matin même. Cependant, lorsqu'à la fin de la pause sonna la cloche d'appel, les rangs se reformèrent et Haru ne put s'empêcher de pousser un cri à la surprise de sa douleur se ravivant au moment de se relever. Yoru l'aida en le soutenant, mais lorsqu'il demanda à Haru de lui montrer la blessure qu'il n'avait visiblement pas remarqué avant, il grimaça et répondit d'un air inquiet:
"Tu devrais aller à l'infirmerie dés la prochaine pause"
avant d'ajouter:
"Je pense qu'il faut que tu le saches, histoire d'éviter une bourde; évite de parler des écuyers quand Kennec est là. Il en vient, et son frère est parmi eux. Kennec n'arrête pas de dire qu'il les a quitté de son propre chef, mais je pense qu'il a simplement honte d'admettre qu'il s'est fait viré à cause de son incapacité à réagir en cas de stress. "Les deux apprentis arrivèrent alors au niveau des rangs et les exercices reprirent alors jusqu'à ce que le Soleil décline.
Un grand nombre des nouveaux avait craqué et n'a pas pu terminer tous les exercices. Cependant, pour terminer la journée, le tour de la ville par les remparts fut imposé à tous. Haru avait tenu bon toutes les épreuves malgré ses blessures, notamment grâce à son sens de l'observation qui lui permettait de comprendre en observant ses aînés comment passer les épreuves sans s'user outre mesure. Il laissa cependant s'échapper un long soupir de soulagement lorsqu'il apprit qu'il s'agissait de la dernière épreuve, et qu'aucun timing n'était imposé. Cependant, Kennec refroidit sa joie en le prévenant qu'arriver trop tard signifie manger froid, et qu'arriver après un certain délai pouvait valoir une nuit à la belle étoile, redoutablement froide du fait de l'altitude de la cité. Ceux qui prenaient l'habitude d'arriver à ce stade devenaient souvent gardes de nuit par la suite. Leur manque d'endurance les rendait préférables à des postes statiques et leur habitude au froid, plus endurcis pour mieux résister aux froides nuits aériennes. Ces gardes là, Kennec les plaignait. En plus de vivre en contre-temps de toute la cité, ils étaient les gardes les plus isolés; vivant en solitaire tandis que les autres gardes remplissaient toute sorte de tâche à l'intérieur d'une dense citée en effervescence.
Jean ne put alors s'empêcher de penser à Timon, dont son ami Thibault était proche. Il se demanda alors si lui aussi souffrait de solitude. Mais penser à Timon le faisait penser à Thibault, puis aux autres.. et c'est soudain Haru qui se sentit seul. Il tâcha donc de se concentrer sur son souffle, gardant un rythme régulier qui devrait lui permettre de rejoindre la caserne avant la fermeture du dortoir.
Nitram était morose. Il avait passé la journée fou de joie, redécouvrant les bêtes dont il devrait s'occuper, les outils et les bâtiments dont il aurait besoin pour ce faire. Il avait compté, nommé les bêtes et s'en était occupé avec une telle tendresse qu'il avait été remarqué par les responsables. Il n'avait pas eu de peine à se rapprocher des deux nouveaux arrivés avec lui dans la ferme, Kiota et Barnbas, mais à l'heure où les bêtes furent rentrés, il sentit un manque profond. Il lui manquait quelque chose. Il lui manquait la forte présence de Bren et son assurance parfois feinte. Il lui manquait le chant de Khalli et les railleries d'Aelis. Il lui manquait l'air bougon de Haru et les sourires qu'il parvenait parfois à lui arracher. Il lui manquait l'air rêveur de Thibault, pensif à sa fenêtre. Il lui manquait cette ambiance, il lui manquait ses amis, sa famille. Il prétexta une fatigue soudaine pour aller se coucher sans qu'on remarque sa tristesse. Alors qu'il fermait les yeux, allongé dans sa couche, il ne pût s'empêcher de murmurer à l'adresse de ses amis, éparpillés dans la citadelle:
"Dormez bien, on se reverra."
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Cytad'ailes
FantasiL'humanité a toujours su s'adapter; à chaque marche de l'évolution, chaque pallier à franchir. Serait-elle cette fois acculée pour de bon? Les derniers progrès datent d'il y a à peine trois ans. Grâce à l'Empire, tout juste imposé par Maximilien, u...