Chapitre 22 : Au champ de bataille

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L'arrivée des chimères avait bouleversé le cours de la bataille. Thibault avait vu les corps métalliques percer la ligne de front établie. Les bêtes avaient dû ployer sous l'arrivée de l'unité d'élite. Terrifiante, celle-ci n'avait essuyé que très peu de pertes, et le peu qui était tombé était clairement constitué des plus faibles du groupe.

Lentement, les chimères progressèrent sous les assauts de bêtes. Sans céder un pied, ils avancèrent inexorablement. Repoussant les prédateurs sans réelle difficulté, quelques-uns sortaient du lot. C'est parmi eux qu'un détail frappa Thibault.

Au milieu du déchaînement, une des chimères semblait plus à l'aise que quiconque. Virevoltant dans tous les sens sur ses jambes d'acier. La silhouette était fine, élancée. Presque gracieuse comparée aux autres chimères qui dépassaient nettement les bêtes qu'elles combattaient tant sur le plan de l'efficacité en combat que sur le plan de l'horreur.

Elle ne savait plus rien. Combattant pour sa survie, bien qu'elle ne se sente plus vraiment en danger, elle avait oublié. Qui était-elle ? Que faisait-elle ? Elle se souvenait qu'on l'avait fait monter dans ce chariot. Un homme en armure était monté et les avait toisés. Après un moment de silence, il leur avait dit qu'ils représentaient l'espoir de l'humanité et qu'ils seraient amenés à vaincre des monstres. Il leur avait dit qu'ils avaient fait le plus grand sacrifice, et qu'ils méritaient les plus grands honneurs. Peut-être que ceux qu'ils devraient protéger auraient peur d'eux, peut-être seraient-ils rejetés par le peuple, mais tous sauraient. Tous sauraient si l'humanité survie, que ce serait grâce à eux.

Puis un cor avait sonné, ils étaient sortis et la lumière du jour les avait éblouis. Elle avait contemplé ces hommes et ces femmes qui lui paraissaient si petits. Quelque chose lui disait qu'un jour elle avait été comme eux. Elle avait vu la peur dans leurs yeux, le dégoût, et la colère. Elle avait vu le rejet, et y était restée indifférente. Puis elle avait vu l'ennemi, et elle avait su ce qu'elle avait à faire.

Certains étaient tombés à côté d'elle. Elle n'avait pas cherché à les protéger, et à vrai dire, elle ne se sentait pas concernée. Elle ne se sentait plus vraiment concernée par tout le reste non plus. Elle faisait ce qu'on lui demandait. S'il y avait une chose qu'elle sentait cependant, c'était une discrète satisfaction. Elle se contentait de faire ce qu'on lui avait dit, mais l'aisance qu'elle avait à remplir sa mission la confortait. Elle s'appliquait à ce que ses gestes soient proportionnées, logiques, précis, et fassent le maximum de dégâts pour un minimum d'efforts.

Elle avait des échos d'évènements postérieurs ressemblants à ce qu'elle vivait. Une espèce de danse macabre des plus appréciables qui la stimulait de plus en plus. Ce qu'elle ressentait aussi ne semblait qu'être un écho. Un écho de sensation. Elle sentait qu'elle aurait dû penser d'autres choses, ressentir plus. Mais c'est comme si son esprit était anesthésié. Comme si quelque chose manquait. Ce n'était pas désagréable, juste étrange, mais cela ne la dérangeait pas, même si elle sentait que cela l'aurait dérangée de se savoir comme telle sans être dans son état.

Qu'était-elle, comment s'appelait-elle ?

Secouant la tête, elle s'éclaircit les idées. Pas besoin de penser autant, pour l'instant ce qu'on lui demandait était simple. Presque trop simple. Accélérant le rythme de ses tourbillons mortels, elle se prit au jeu et entama une danse de lames qui, dans toute sa violence avait la splendeur artistique d'une représentation d'un art sombre. Plus vite. Encore. Une certaine ivresse la prenait. Jusqu'où pouvait-elle aller ? Il lui fallait plus. Elle avait désormais l'impression de s'agiter dans le vide.

Pourtant elle voyait bien ses victimes se décomposer sous ses coups. De plus en plus vite.

C'est trop facile, il m'en faut plus.

S'échauffant, elle commença à sortir des rangs, à s'avancer de plus en plus profond dans la horde de monstre jusqu'à se retrouver isolée, encerclée par les prédateurs qui semblaient désormais la craindre.

Là elle se sentit vibrer. PLUS. Ses membres s'agitaient comme une mécanique souple et merveilleusement bien organisée, détruisant systématiquement ce qui s'approchait à portée. Chaque attaque était esquivée, et le mouvement d'esquive était récupéré pour porter un coup impardonnable qui terminait une vie. Le sentiment d'excitation finit par l'emporter, et tout devint flou. Son corps agissait pratiquement tout seul, et elle se sentait bien. Le chaos l'entourant lui plaisait, elle se sentait à sa place. PLUS VITE. Cet effet grisant perdura de longues minutes durant jusqu'à ce que...

Un détail la fit s'arrêter net. Figée par un mauvais pressentiment, alors même que tout autour d'elle semblait s'être arrêté, elle tourna lentement le regard pour le poser derrière elle, là où elle venait de porter un puissant coup perforant. Elle regarda sa lame, tinté d'un sang d'une couleur différente. Un sang rouge. Son regard se relevant, elle vit ce qu'elle avait fait.

Je n'aurais pas dû ?

L'un de ceux qui avaient combattu à ses côtés s'était frayé un chemin jusqu'à elle, et elle venait de lui porter un coup fatal. Elle aperçut deux éclairs. Le premier dans le regard de celui qu'elle venait de condamner à mort. Un éclair qui semblait si humain pour une créature comme elle, et qui s'effaça en même temps que la dernière lueur de vie. Le deuxième éclair venait de beaucoup plus loin, et fut suivit par un bruit sec de détonation.

Puis il y eut l'impact.

Cytad'ailesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant