PARTIE 4

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Le dimanche n'avait rien d'une journée ordinaire chez les Lewis . Depuis la mort de Diana,  une routine particulièrement stricte s'était instaurée, renforçant l'image de sainteté dont était naturellement couverte cette journée.
Avant même sa mort , le dimanche n'avait jamais été un jour comme les autres, un jour où les activités se distinguaient ,  où chacun pouvait vaquer à ses occupations , tranquillement sans déranger quique ce soit et surtout sans dépendre de personne,  non , c'était un jour d'union , et Diana y tenait vivement . Elle s'évertuait à inculquer à ses filles , l'amour de l'autre,  et surtout l'amour de Dieu . La famille était ainsi considérée comme sacrée,  et la foi était auguste . Jusque là, malgré ses frasques et la distance qu'il avait contribué à créer entre ses filles et lui , Karl y avait toujours prêté une attention particulière,  car il se devait de continuer son oeuvre pour elle , pour leur famille .
C'est ainsi que ce matin là, il avait emmené ses filles au monastère , à bastos , là où ils avaient l'habitude d'écouter l'évangile, et comme par hasard , l'homélie exhortait chacun à ouvrir son coeur au pardon et à oublier les erreurs du passé. Il s'était senti visé par ces paroles,  et avait jeté des petits coups d'oeil à ses filles pour voir si elles aussi avaient été réceptives,  mais il n'avait rien remarqué,  car elles semblaient impassibles , froides et peu soucieuses du regard qu'il leur portait  . Il se sentait mal évidemment,  mais s'efforçait tout de même de garder la tête haute , espérant que le reste de la journée se passe dans une ambiance moins glaciale.
Après la messe  , ils s'étaient directement rendus au cimetière, celui de Mvolye où reposait Diana ,  car elle avait refusé de retourner chez les siens , souhaitant être ensevelie sous les terres de son pays d'accueil. Elle était Italienne d'origine, mais aimait le Cameroun comme si elle y avait poussé ses premiers cris . Elle n'avait d'ailleurs eu aucun mal à s'adapter au mode de vie , aux habitudes de ses habitants , et c'est pour cette raison même qu'elle se considérait comme appartenant à leur culture .
Pour Karl , venir la voir était devenu un rituel qu'il s'imposait , car il craignait de l'oublier à jamais s'il ne se rappelait pas de l'endroit où elle était. Il venait lui parler , se confier , pleurer chaque fois qu'il se sentait mal , chaque fois qu'il se sentait incapable de continuer sans elle , chaque fois qu'il espérait pouvoir la réveiller par ses cris . Cependant , il voulait éviter aux filles de revivre ce moment de douleur , et préférait s'y rendre seul . Aujourd'hui pourtant,  il sentait le besoin de leur rappeler en quelques sortes , les principes et valeurs auxquels leur mère tenait , et souhaitait qu'après cet échange spirituel , elles arrivent à mettre de côté leur colère.

Le trajet pour le cimetière s'était fait dans un silence absolu , différent de celui qui exprimait les tensions , car celui-ci était lourdement chargé de tristesse et d'amertume. Malgré le temps qui était passé,  bientôt sept années,  la douleur était toujours présente,  et le poids de l'absence de Diana continuait de peser sur les épaules de chacun. Les filles ayant compris où elles allaient , s'étaient crispées, sans doute apeurées de revivre ce moment tragique. Après le drame , elles n'y étaient revenues que deux fois , et on pouvait aisément lire sur leur visage l'incompréhension,  car il ne s'agissait ni d'une occasion particulière,  ni d'un moment de détresse extrême, qui aurait nécessité de consulter les morts , alors elles se posaient mille et une questions .

- Papa pourquoi on y va ? Demanda calmement Manon
- Je ne sais pas à vrai dire ... ça fait longtemps que vous n'y êtes pas venues je me suis dit que vous auriez envie . Ce n'est pas le cas ?
- Ça ne me pose aucun problème à moi ... j'aimerais bien . Mais on aurait peut-être du acheter des fleurs .
- Il y a un marchand de fleurs à côté... déclara Penelope évasive
- Comment le sais tu ? Demanda Karl étonné
- Je viens souvent ... seule .

Après cette révélation,  Karl se figea un instant , interdit et bouleversé,  il n'en revenait pas , car la profondeur de ces mots traduisait le mal-être de sa fille , quelque chose qu'il n'avait pas remarqué,  trop occupé à faire monter les chiffres . Souffrait elle autant ? Depuis combien de temps ? Pourquoi n'avait elle rien dit ? Même pas à sa soeur ? Toutes ces questions se bousculaient dans son esprit , rongeant le peu de joie qui avait réussi à s'immiscer en lui . Sa fille Souffrait , à 13 ans seulement ,  et il n'en avait rien su . Il savait que si elle venait dans ce lieu , c'était certainement pour les mêmes raisons que lui , pour crier son désarroi.  Il se sentait mal d'avoir autant négligé ses enfants,  et se demandait s'il était possible encore de tout réparer. 

La Cible de Cupidon Où les histoires vivent. Découvrez maintenant