La Cible de Cupidon

PARTIE 15

Deux semaines déjà ! Se disait Lauren.  Deux semaines interminables au cours desquelles elle s'était vue fondre comme du beurre au soleil . Elle refusait de se nourrir,  de prendre soin d'elle , car elle se sentait coupable , se disant que son fils était peut-être mort de faim quelque part , pendant qu'elle était au chaud et pouvait manger à sa guise .
Chaque fois qu'elle imaginait ce qu'il pouvait être entrain de vivre , les dangers auxquels il faisait peut-être face,  ses larmes couler le long de ses joues pleines,  elle s'effondrait , perdait toute envie de vivre , car rien n'avait plus de sens , sa vie avait désormais un goût amer .
Elle avait tout entrepris pour le retrouver , les fouilles dans les rues , dans son école,  chez ses amis mais rien , elle n'avait toujours aucune trace de lui . Elle avait voulu s'en remettre à la police , mais elle avait l'impression que leurs efforts ne conduisaient à rien de concret .  Pour la rassurer , le commissaire qu'elle avait contacté lui rappelait sans cesse des mots qu'elle commençait à détester  :  Nous le retrouverons... Elle avait l'impression que ce refrain tout le monde le lui balançait sans même vraiment y croire , car personne n'avait encore réellement tenu cette promesse!
Elle savait ce que signifiait la disparition d'un enfant , en plus un enfant aussi intelligent et beau que le sien . De nombreux enfants avaient disparu dans cette même ville,  et on les retrouvait soit morts , soit éventrés,  soit totalement méconnaissables. Qui sait entre les mains de qui il était tombé ?
Les gens autour d'elle essayaient tant bien que mal de lui présenter la situation sous des angles un peu arrondis , mais c'était peine perdue,  car elle se laissait peu à peu aller dans les limbes du désespoir.

Si seulement elle avait écouté son père à temps , si seulement elle avait eu le courage d'affronter l'air interrogateur et meurtri de son fils une fois qu'il aurait su que son père avait préféré une autre femme à lui , Si seulement elle avait résisté à l'envie de tout embellir , de tout arranger,  pour cet idiot qui lui ne s'était pas le moins du monde senti gêné en les abandonnant , si seulement elle pouvait tout recommencer , elle l'aurait fait , elle aurait été honnête,  elle aurait fait confiance à son fils . Mais c'était impossible,  les mots de son fils étaient clairs et extrêmement blessants , elle les relisait encore et encore,  comme un prisonnier avide de sanctions ... le regret la tourmentait,  la peur lui broyait les tripes , et elle se maudissait d'avoir voulu épargner à son ex mari la colère de son fils , car aujourd'hui,  elle la subissait à sa place . Ses nuits n'étaient plus que des veillées de prière,  et ses journées des patrouilles interminables. Elle n'avait pas la force de travailler, surtout pas celle d'affronter les regards et les questions de ses clients ou de ses employés . Par chance , Ana se montrait disponible et allait contrôler les activités au restaurant , tout en y laissant les recommandations qu'elle lui communiquait . Elle avait vite fait de mettre de côté le petit différend qui les avait opposées , et essayait du mieux qu'elle pouvait d'être présente pour Lauren .

- Lauren... je t'ai préparé une soupe ! Essaie de manger s'il te plaît.
- Je n'ai pas faim maman ...
- Je sais ma chérie mais regarde toi tu es toute maigre ... ça fait deux semaines que tu grignotes à peine .
- Je n'ai pas faim maman ... répondit-elle agacée
- Lauren je t'en prie ... reprends toi s'il te plaît.  On va le retrouver , mais te morfondre autant ne fera pas avancer les choses .
- Et qu'est ce que je suis censée faire d'autres ? Crier? danser ? Jouer ? Dormir comme tu dormais quand il est parti ?
- Ma chérie...
- Je regrette tellement de l'avoir laissé venir ici ... je regrette tellement mon Dieu ! Elle se mit à pleurer et s'éloigna du salon .

Anabelle avait reçu ces paroles comme un poignard en plein coeur . Elle était consciente de la douleur de sa fille , et rien que pour cela elle se refusait le droit de lui en vouloir .
Mais c'était difficile , car même si elle savait qu'elle avait fait preuve de négligence et qu'elle s'en voulait horriblement , savoir que sa propre fille la rendait responsable de la disparition de son petit fils était beaucoup trop lourd à supporter pour elle . L'amertume et la culpabilité l'avaient déjà anéantie, mais les mots de Lauren venaient de l'achever. Elle gardait les yeux rivés sur un point fixe dans son salon , les mains étalées sur les plis de sa longue robe , les yeux dégoulinant de larmes , elle essayait de se montrer forte , même si ce n'était aucunement aisé. La tâche s'avérait ardue , car en plus de lutter contre ses sombres pensées,  elle devait encaisser la colère et la tristesse de sa fille,  et maintenant , elle devait savoir ignorer ses mots .