6 : Elleana.

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Quelques jours plus tard

CLANG !!!

Zut, il faut...

CLANG !!!

Elleana poussa un juron particulièrement sonore, qui lui aurait valu un interminable discours de ses parents sur le vocabulaire correct que devait tenir une jeune fille correcte. Mais ils n'étaient pas là. Cet après-midi, cette forêt n'appartenait qu'à elle, à elle et Amaniel, qui s'était mise en tête d'apprendre à sa jeune sœur la chasse et l'escrime dès qu'elle avait su marcher. Même le froid de l'hiver, comme ce jour-là, ne parvenait pas à les ralentir.

CLANG !!!

Ne sois pas idiote, concentre toi un peu... maugréa la jeune fille, revenant à sa leçon.

Amaniel était une combattante extraordinaire. Logique, rapide, forte, sûre d'elle-même, elle alliait toutes les qualités qu'un humain pouvait rêver d'avoir pour être un bon combattant. Contrairement à Elleana, elle était également douée au tir à l'arc. Certes, cette dernière savait tirer, mais ne brillait pas du tout pour viser. Mais Elleana n'en aimait que plus sa sœur. En revanche, en escrime, elle était aussi douée que celle-ci deux ans auparavant, voire plus. Il lui arrivait de gagner. Là ou Amaniel privilégiait la logique et la sureté, Elleana comptait plus sur son instinct, sa vitesse et l'effet de surprise qu'elle provoquait souvent chez ses adversaires. Cela provoquait un mélange peu sûr, et surtout impossible à prévoir. Ce handicap chez l'ennemi avait souvent avantagé la jeune fille. Mais aujourd'hui, elle avait l'esprit ailleurs. Elle avait encore en mémoire le visage de l'adolescente aux cheveux noirs, à la même mèche...

CLANG !!!

- Tu faiblis, petite sœur !!! la taquina Amaniel.

CLANG !!! CLANG !!! CLANG !!!

- Je sais, grimaça Elleana. Il faut...

Plusieurs coups successifs qu'elle parvint à peine à bloquer la coupèrent dans son élan. Alors qu'Amaniel tournoyait pour lui porter le dernier coup, Elleana décida brusquement de changer de stratégie. Elle pirouetta, arriva derrière sa sœur, et, d'un coup rapide, elle lui arracha l'épée des mains, la jeta au sol et appuya la pointe de la sienne au creux de la gorge de son professeur.

- Alors, Ama, je faiblis ? lui chuchota-t-elle à l'oreille.

La jeune femme se libéra avec un grognement. Elle ramassa sa longue et fine épée de métal souple, l'essuya avec un pan de sa tunique, avant de se tourner vers son élève, qui n'avait pas bougé et n'arrivait pas à effacer son sourire triomphant ;

- Tu as triché.

- Absolument pas !!! se défendit aussitôt la jeune fille.

- Bien sûr que si !!! Si tu n'avais pas triché, j'aurais gagné.

Elleana comprit soudain où voulait en venir Amaniel et un sourire éclatant apparut sur son visage ;

- On parie ?

Sa sœur écarta les bras en geste d'invitation, son épée toujours dans sa main.

- Je t'attends, microbe.

C'est avec un cri vengeur qu'Elleana se jeta sur sa sœur, et c'est au milieu des éclats de rires qu'elles continuèrent de croiser le fer durant le reste de l'après-midi.

** *

Les deux sœurs se séparèrent à l'entrée du village. Amaniel partit aiguiser les épées, tandis que sa petite sœur partit voir la vieille bibliothèque du village. Elleana raffolait des bibliothèques. Elles étaient pour elle comme un temple de la connaissance, qui réunissait des centaines, parfois même des milliers d'ouvrages d'histoire, de géographie et de poèmes dédiés à la Lune. Elleana adorait se plonger dans la lecture de ces anciens écrits, des écrits d'humains, de nains, de fées et parfois même d'anges et d'elfes. Ses romans préférés étaient les romans d'aventure, de magie et de suspense. A Ellendar, ce n'était pas ce qui manquait. Ellendar avait une histoire riche de créatures fantastiques, de pouvoirs magiques et d'épopées fantastiques simples à retenir et à apprendre. La jeune fille aimait tellement ces lieux calmes et pleins de sérénité ! Et elle n'était pas la seule :

- ANA !!!

- Chutttt !!! On est dans une bibliothèque.

Ses trois petites sœurs d'adoption étaient là, comme tous les après-midis ou elles n'étudiaient pas. La première, Guenièvre, âgée de 14 ans, avait de longs cheveux noirs, qui lui arrivaient au milieu du dos. Ses yeux marrons très clairs brillaient en permanence d'un éclat malicieux. Son visage rond et son petit nez retroussé lui donnaient un air espiègle qui lui allait comme un gant, compte tenu du fait qu'elle adorait toujours faire toutes sortes de blagues stupides (ses souffre-douleurs préférés étaient Elleana et Eve, car leurs caractères explosifs lui garantissaient un risque si elle dépassait la limite, et elle adorait le risque). La deuxième, Liliana, que tous appelaient Lili, avait aussi les cheveux au milieu du dos, mais du même blond-roux que sa sœur ainée. Elle avait 11 ans, et des yeux également marrons, mais très foncés, presque noirs. Son visage ovale ressemblait comme deux gouttes d'eau à celui d'Amaniel (les seules différences étant les yeux et l'âge). Elle adorait sa sœur ainée, et la suivait beaucoup plus que ses autres sœurs. La petite dernière, du haut de ses 8 ans, était celle qui ressemblait le plus à Elleana. Eve avait les mêmes yeux marrons, les mêmes cheveux marrons, mais sans mèche, et elle avait le même caractère rebelle et emporté, mais, étant plus jeune, elle ne le contrôlait pas du tout et il lui arrivait de perdre tout notion de réflexion, pour ne laisser place qu'à la colère. Malgré leurs défauts, Elleana les adorait toutes trois plus que tout.

- Où as- tu laissé Ama ? demanda Liliana, qui jouait avec les pages.

- Elle est partie à la forge.

Eve ne dit rien et continua à lire, assise en tailleur sur des coussins. Elle ne trouvait la paix que dans les livres, trait de caractère partagé avec toutes ses sœurs. Guenièvre, elle, était dans les rayons. La jeune adolescente préférait regarder les incroyables quantités de livres que d'en prendre un pour lire. Elleana s'agenouilla au côté de sa plus jeune sœur et regarda son petit visage, d'une beauté pure à l'enfance et aux traits délicats.

- Que lis-tu ? demanda la jeune fille.

- Un traité sur la division des royaumes, répondit l'enfant. Savais-tu que les elfes ne traitaient plus qu'avec quelques nains, triés sur le volet ?

- Oui.

La petite poussa un soupir exaspéré. Elle aimait se cultiver, mais aimait également apprendre aux autres ce qu'elle savait, chose très ardue avec ses sœurs.

- Continue à lire comme ça, poursuivit Elleana pour la remettre de bonne humeur, et tu vas bientôt m'apprendre tout un tas de choses sur les sujets que tu auras choisis.

- La grande terreur !!! s'enthousiasma la fillette.

Elleana pinça les lèvres. Les ouvrages traitant de ce sujet avaient disparu depuis longtemps, mais Eve était persuadée qu'il en restait quelque part. Elle s'était mise en tête de les retrouver et d'être la plus savante de toutes les créatures d'Ellendar à ce sujet.

- On en a déjà parlé, poussin... commença Elleana.

- Ils existent !!! la coupa l'enfant. Je les retrouverai, et je te le prouverai !

- Mais en attendant, poussin, intervint Guenièvre avec une horrible voix geignarde sensée imiter celle de sa grande sœur, il faut que tu travailles bien à l'école... Oups !!!

Elle esquiva sans peine le coussin lancé par ladite grande sœur, avant de s'enfuir en riant dans les rayons. Elleana secoua la tête, découragée. Guenièvre était tout simplement incapable de prendre les choses au sérieux.

- Au lieu de faire l'andouille, lui dit Elleana, trouve-moi plutôt un livre bien, qui parle de magie, d'aventure et avec du suspense.

Voyant le visage de sa sœur réapparaître et la regardant avec un air insistant, la jeune fille soupira :

- S'il te plait, Guenièvre.

- A vos ordres, capitaine tortionnaire ! répondit cette dernière avec une grosse voix.

- Et un que je n'ai pas encore lu ! lui cria sa sœur, ce qui lui valut un coup de coude d'Eve.

Guenièvre revint quelques instants plus tard, avec un petit livre vert tout craquelé qu'Elleana n'avait encore jamais vu. Elle s'en saisit, et retint son souffle en voyant l'écriture fine sur la couverture.

- Ma parole, Guenièvre ! C'est de l'elfique ancien ! Ou l'as-tu eu ?

- Je l'ai trouvé dans un compartiment secret, dans un des plus vieux rayons, répondit la petite adolescente, très fière d'elle. Tu peux me le traduire ?

- Avant, raconte-moi avec exactitude où tu l'as eu.

- Il y avait un vieux livre, pas à sa place, je l'ai enlevé pour le ranger et il y avait une petite manette derrière. Je l'ai tirée, et un tiroir s'est ouvert. Alors ? Tu peux le traduire, oui ou non ?

- Montre-moi, exigea Elleana.

Guenièvre l'aida à se lever, non sans un soupir exaspéré. Liliana ferma aussitôt son livre, ravie de cette occasion de partir à l'aventure. Eve sembla hésiter mais, comme elle aimait les aventures et haïssait les mystères qui trainaient trop presque autant qu'Elleana, elle finit par quitter son livre et suivre Guenièvre parmi les rayons. Parvenue devant une étagère, cette dernière arrêta ses sœurs et saisit un vieux livre qui ressemblait plus à une dizaine de parchemin empilés qu'à un livre, avant de le tirer. Elle inséra sa main dans l'espace dégagé et tira. Aussitôt, un déclic se fit entendre et un tiroir juste assez grand pour le livre s'ouvrit sur l'étagère. Elleana sourit intérieurement. Il n'y avait que quelqu'un connaissant chaque place des livres comme Guenièvre les connaissaient qui aurait pu savoir que le bouquin n'était pas au bon endroit. La jeune fille tendit la main et explora la cachette de ses doigts, sans rien trouver d'autre. Enfin satisfaite, elle reporta son attention sur le livre qui n'avait pas quitté les mains de sa sœur. Elle le prit et feuilleta, sans parvenir à saisir le moindre de ses mots. Elle soupira, et dit à ses sœurs :

- Je ne sais pas le traduire. C'est trop vieux.

Guenièvre poussa un grognement dépité, Liliana soupira et Eve réfléchit :

- Et tu penses qu'Ama...

- Je ne crois pas. Elle m'aurait appris si elle savait le parler.

Puis, non sans une certaine fierté, elle ajouta ;

- Elle m'apprend tout !

- Bon, dit Guenièvre. On fait quoi ?

- Il se fait tard, lui répondit Elleana. Venez, on rentre.

- Et le livre ?

Elleana se tourna vers Liliana. Le visage se sa sœur, tourné vers elle, attendait une réponse.

- Le prendre serait du vol, répondit Elleana.

- Alors tu veux dire que tu vas le laisser là ? demanda Guenièvre, stupéfaite. Tu es folle, ou quoi ? Il est sûrement super-précieux !!!

- Justement.

- Mais... pleura presque Liliana.


- Personne ne connait son existence, Ana, intervint Eve.

La main sur l'épaule de sa grande sœur, elle tentait de la convaincre du regard. Elleana, en voyant ses yeux dans ce visage si jeune, pris sa décision : elle glissa le livre dans sa poche.

- Oh, merci, Ana !!! rit Guenièvre en tapant des mains, heureuse.

- Je ne veux pas un mot une fois sorties d'ici ! les prévint néanmoins Elleana.

- Pour qui nous prends-tu ? s'indigna Liliana.

- Ne te fâche pas, trésor. Ce n'est pas toi qui m'inquiète.

- Je ne dirai rien, promit Guenièvre, loin d'être vexée.

- Bien.

Elleana tandis les mains en direction de ses deux dernières sœurs et sortit de la bibliothèque en direction de la forge, la troisième sur les talons.


En arrivant là-bas, Elleana lâcha les mains de ses sœurs, et sourit avec tendresse en les voyant courir vers Amaniel, avant de la câliner. La forge était très petite, mais chaude et accueillante. Des dizaines d'outils étaient empilés dans tous les coins. Au centre, Amaniel était en train d'aiguiser son épée avant que ses sœurs ne rappliquent. Alerté par les éclats de voix, le forgeron, un homme extrêmement sympathique malgré son physique, sortit la tête de son atelier, un espace fermé du bâtiment. De grande taille et de musculature imposante, il avait un visage tordu, couvert de cicatrices. Mais il avait toujours témoigné du respect à Amaniel, Elleana et leurs sœurs. Il était rare de trouver des jeunes filles douées et expertes en maniement et forge des armes. Il sourit d'un sourire qui ressemblait plus à une grimace qu'à un sourire en regardant Amaniel qui tentait de se libérer de ses sœurs, aidée tant bien que mal par Elleana. Il leur souhaita finalement bonne nuit et les laissa, sachant très bien que jamais l'une d'elles n'abimerait ou ne volerait quoi que ce soit. Une fois le travail d'Amaniel terminé, elle se tourna vers sa première sœur :

- Je n'ai pas eu le temps d'aiguiser ton épée, désolée. Mais il est tard. On devrait le faire demain.

- Oh, ne t'inquiète pas, répondit Elleana. Je vais finir seule. Les filles sont fatiguées. Ramène-les à la maison. Je vous rejoins bientôt.

- Menteuse, sourit Amaniel. OK, on fait ça. A demain, sister.

Elleana sourit, embrassa ses petites sœurs et resta seule dans la forge surchauffée.

** *

Il était plus de minuit quand la jeune fille finit enfin son ouvrage. Elle avait profité de sa solitude pour aiguiser également ses quatre poignards, deux toujours suspendus à sa ceinture, les deux autres dans chacune de ses bottes, et elle avait taillé quelques flèches. Elle se saisit de son carquois, de son épée, qu'elle rangea dans son fourreau, avant de sortir dans la nuit noire. Elle prit la direction de sa ferme, loin du village. Elle savait que ses parents ne s'inquiéteraient pas : ils connaissaient son niveau d'autodéfense. Il n'empêche, elle préféra ne pas trop trainer. Elle avait pris suffisamment de retard. Elle sourit tendrement en imaginant le sermon que lui passerait son père : toujours le même refrain, avec après tu t'étonnes de ne pas te lever tôt ! Ou encore : Continue comme ça et on te confisque ton épée ! Comme s'ils le feraient ! Ils étaient tellement fiers de ses prouesses... Mais Elleana n'était pas tranquille. Elle se sentait bizarre. Depuis quelques temps, la même étrange impression revenait, comme si on tentait de percer son esprit. Mais jamais ce désagréable sentiment ne s'était présenté avec autant de force.

- Respire, Ana, murmura-t-elle pour elle-même. Personne ne va te sauter dessus...


Ellendar tome 1 :  Le temps d'un secretOù les histoires vivent. Découvrez maintenant