17 : Elleana

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Le lendemain, Elleana eut beaucoup de mal à se lever. Ordinairement, dès que le soleil se levait, elle était debout, en train d'aiguiser son épée ou de tailler de nouvelles pointes pour ses flèches. Evidemment, tout le monde pensait qu'elle dormait, mais, en réalité, dès que la Lune disparaissait, elle était trop agitée pour dormir. Les cauchemars étaient trop horribles. Or, ce jour-là, alors que justement elle devait se lever tôt, Melena avait dû la réveiller à trois reprises pour qu'elle puisse garder les yeux ouverts, et encore, avec des efforts. Son après-midi de la veille l'avait vidée, et elle avait mal partout. Le pire, c'est qu'elle ne pouvait s'ôter la vision de l'ange coupé en deux, ou de la tête séparé du corps. Bien sûr, quand Connor les avaient retrouvées, il n'en restait plus que des cendres. Néanmoins, il les crut sur parole et n'avait pas changé de décision, au contraire. Les deux filles avaient toutes deux été guéries (Elleana avait eu quelques côtes cassées, et Melena quelques coupures plus ou moins profondes, mais elles étaient en général indemnes). En revanche, cela ne les empêchait pas d'être fatiguées. Cette sensation était si nouvelle pour Elleana qu'elle ne cessait d'y penser, alors qu'elle commençait la traverser de la forêt des elfes, en compagnie de Melena et de Connor. Le fait d'y penser, bien sûr, aggravait les choses. Ainsi, lorsqu'ils s'arrêtèrent pour la nuit, elle s'effondra dans ses couvertures, sans avoir le temps de penser à son arrivée dans la forêt d'Arisel, vaste domaine des elfes guerriers, survivants de la grande terreur.

Le lendemain, après leur rapide petit déjeuner, ils se remirent en route. Comme elle n'était plus aussi fatiguée, Elleana contemplait le paysage qui l'entourait. Ce paysage... Comment vous décrire, à vous, qui n'avez jamais mis les pieds à Ellendar ? Comment vous décrire la majesté des arbres qui se dressent dans ses bois ? Comment expliquer la sensation que l'on ressent à s'enfoncer dans ce domaine qui, à l'image de ses propriétaires, semble vieillir au ralenti ? La source d'histoire, l'écho des grandes batailles semble presque là, et plus l'on s'y enfonce, plus on ressent que l'histoire d'Ellendar a été jouée ici. La lumière du soleil se déverse à flots à travers le feuillage glacé. La lumière verdâtre donne aux alentours un aspect mystique, magique, légendaire. Seuls les pas maladroits du nain, qui ne cesse de trébucher sur des racines et de se prendre la tunique dans des branches basses trouble la sérénité des lieux. S'ils s'étaient tus, peut-être qu'ils auraient entendu les souffles courts qui les suivaient, peut-être qu'ils auraient interprété le silence de la forêt autrement... Mais, sur l'heure, se souvenir de mots entendus pendant une vision semblait dérisoire.

Ils voyagèrent ainsi durant trois jours. Dans l'après-midi du quatrième jour, ils débouchèrent dans une clairière, et Melena osa enfin troubler le silence :

- Dommage qu'il ne fasse pas nuit ! Cet endroit aurait été parfait pour camper !

- Idéal, en effet, renchérit Connor.

Elleana, elle, restait silencieuse. La main posée sur un frêne, elle tentait de saisir ce qui la gênait.

- Elleana ? dit doucement son amie. Tout va bien ?

- Je ne sais pas... hésita la jeune fille. J'ai une drôle d'impression...

Melena regarda autour d'elle, les sourcils froncés.

- Vraiment ? demanda-t-elle. Moi aussi, j'ai eu plusieurs sensations désagréables...

- Moi pas, dit le nain, en les regardant tour à tour. Vous avez dû...

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase. Dans une explosion de grognements, des espèces de grands loups se jetèrent sur eux.

- Des loups garous ! hurla Melena en sortant sa hache.

Elleana, qui s'était écartée, était en train de tenter d'en empêcher un de l'égorger. Renversée par terre, elle le repoussait à la gorge. L'attaque avait été si soudaine qu'elle n'avait pas eu le temps de dégainer son épée. La fourrure de l'animal était sale et chaude sous les mains de la jeune fille. Il lui soufflait son haleine à la figure, et ses dents claquaient à quelques centimètres des yeux d'Elleana.

- MELENA !!! hurla-t-elle.

Le loup s'écrasa alors sur elle, et elle aperçut un poignard d'argent planté dans son dos. Elle s'en saisit et en tua un deuxième, qui avait voulu la mordre par derrière. Elle voyait Melena et Connor se battre, et se dit qu'il valait mieux qu'elle s'occupe d'elle. En effet, Melena bondissait, tailladait et plantait tout ce qui s'approchait, tandis que le nain utilisait aussi une hache, mais la maniait avec moins de souplesse et plus de force. Elleana était toujours séparée des deux autres, et les loups s'en prenaient donc plus à elle. Je suis le maillon faible... comprit-elle tandis qu'elle en tuait un autre. En plus, ses blessures récentes la ralentissaient. Elle se battait comme elle pouvait, mais pour un tombé, il leur semblait que deux venaient le remplacer. Alors qu'elle était acculée contre un arbre, elle entendit Melena crier de surprise. Elle bondit aussitôt dans sa direction, et ce qu'elle vit lui retourna le cœur. Le nain gisait à terre, le bras en sang, la hache à quelques mètres. Melena, elle, avait la hache à quelques centimètres de la main droite, mais un loup-garou appuyait sa patte sur sa poitrine, et semblait savourer sa victoire. Alors qu'Elleana était occupée à réfléchir comment les aider, un autre loup lui donna un coup dans le dos, l'envoyant à terre. Le choc se répandit dans ses côtes, pas encore complétement guéries, et elle perdait du sang par la blessure que lui avait fait le monstre. La jeune fille se sentait étrangement nauséeuse. Il est hors de question que je meurs sans combattre ! se disait-elle, mais elle ne pouvait bouger. Dans son esprit embué se créa une sensation étrange, une résolution qui devait être accomplie à tout prix. La jeune fille, face contre terre, tourna la tête vers Melena. Je ne peux pas la laisser comme ça... Je ne peux pas la regarder mourir... Sans se rendre compte de ce qu'elle faisait, elle tendit la main vers le loup qui immobilisait son amie. Une grande douleur irradia ses paumes, et une lueur d'un blanc argenté aveuglant heurta le montre, le tuant sur le coup. Alors qu'elle n'avait même plus la force de s'étonner, elle vit des flèches surgirent de nulle part et se mettre à cribler les monstres, un par un, et aucune ne manquait son but. Les elfes... sur cette pensée, et pour la deuxième fois en moins d'une semaine, Elleana perdit connaissance.

** *

Elle se réveilla dans un grand lit blanc, dans une chambre bleu clair. De grandes colonnes, contre le mur, se rejoignaient en une voûte au-dessus de sa tête. Chaque colonne était sculptée aux motifs d'animaux, de plantes et de cristaux. Chaque petit dessin était d'une précision étonnante, presque effrayante. Le château des elfes, comprit Elleana. Comment était-elle arrivée ici ? La dernière chose dont elle se souvenait...

- MELENA !!! hurla-t-elle en se redressant d'un coup.

Comment avait-elle put l'oublier une seule seconde ? Bien décidée à la chercher, Elleana se leva... et se rendit compte qu'elle n'était vêtue que de ses sous-vêtements. Grommelant un juron, elle regarda autour d'elle. Ses yeux se posèrent enfin sur une grande armoire, qu'elle n'avait pas remarquée avant. Elle s'en approcha, attrapa la poignée et tira. N'importe quelle autre fille aurait poussé un cri de ravissement en découvrant les vêtements. Pas elle. Certes, les robes étaient magnifiques. De toutes les couleurs, de toutes les formes, elles étaient de ces tissus rarissimes qu'on ne trouve qu'une fois dans sa vie, et n'importe qui se serait battu pour avoir ne serait-ce que la plus laide de celles-là. Mais ce sont des robes !!! grimaça Elleana. Décidant finalement que ce serait mieux que se promener à moitié nue, elle en attrapa l'une des plus simples, une argentée, et l'enfila. Elle lui allait comme un gant. Sans s'appesantir sur le contact confortable du tissu sur sa peau nue, elle se dirigea vers la porte et l'ouvrit... pour se retrouver face à face avec un miroir. Si son reflet n'avait pas bougé en même temps qu'elle et n'avait pas eu la même chevelure, Elleana n'aurait jamais cru que c'était elle. Absorbée dans sa contemplation, elle en oublia même de regarder la pièce dans laquelle elle se trouvait. Elle ne s'était même pas encore rendue compte que sa mèche n'était pas cachée. Dans le miroir, ses cheveux étaient lustrés et tombaient en légères vagues dans son dos. Sa mèche argentée était brillante, comme si elle absorbait la lumière. Son éclat donnait un effet étrange au visage de l'adolescente. Dans le miroir, il était pur, frais, majestueux. Ses yeux brillaient et semblaient se réjouirent de la vision qu'ils avaient. Elleana était vêtue de sa robe argentée. Un décolleté en V, une forme qui mettait sa taille en valeur, elle semblait luire comme de la nacre. Les manches étaient légèrement pendantes, et elles arrivaient au milieu des avant-bras de l'humaine. Une fine ceinture dorée entourait sa taille. J'ai l'air d'une elfe... pensa la jeune fille, éblouie.

- Elle vous va à ravir, déclara une voix derrière elle.

Elleana sursauta violemment et se retourna. Elle était dans un couloir, et un elfe la regardait. Il était... et bien, il était comme tous les elfes, il était magnifique. Ses cheveux blonds lui arrivaient au-dessous des épaules. Il était mince mais musclé, avec un visage vierge d'imperfection. Ses lèvres douces étaient retroussées en un mince sourire, et ses yeux d'un bleu électrique fixaient la jeune fille. Elleana se sentit rougir, mais, avant qu'elle ne puisse faire le moindre geste, l'elfe s'inclina profondément :

- Excusez-moi si je vous ai effrayée, madame, telle n'était pas mon intention. Je m'appelle Caleb, chef de la garde royale. Si je peux faire la moindre chose pour vous, n'hésitez pas à me le dire.

- Euh... Merci.

Elleana se faisait l'effet d'une parfaite idiote, mais le fait d'avoir rencontré un guerrier elfe, et en plus un très beau guerrier, l'avait privée de ses moyens. Heureusement, l'autre ne semblait pas s'offusquer de sa gaucherie, et lui dit :

- Je suppose que vous voulez voir...

- Melena ! s'écria-t-elle.

Elle ressentit une grande bouffé de honte. Elle avait complétement oublié la jeune fille. L'elfe sembla plutôt désemparé.

- Oh,... Elle s'appelle Melena. Je m'attendais à plus... royal, noble... Et vous ?

Elleana le regarda sans comprendre, totalement désemparée.

- Vous vous nommez ?... reprit Caleb.

- Oh ! Euh... Je m'appelle Elleana.

- Elleana... murmura le guerrier. Oh, mais j'oubliais ! s'écria-t-il, refaisant sursauter la jeune fille. Je dois vous conduire chez le roi Sarin !

Puis faisant une profonde révérence, il dit :

- Madame...

Elleana inspira un grand coup, puis le suivit à travers les couloirs du palais du roi des elfes.


Ellendar tome 1 :  Le temps d'un secretOù les histoires vivent. Découvrez maintenant