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Vingt-cinq mille ans plus tard...

Mary ne parvenait pas à s'endormir. Les rayons de la pleine lune filtraient à travers ses rideaux de soie, lui rappelant l'importance de cette nuit. Comme si elle aurait pu oublier ! Son peuple avait chanté et dansé jusqu'à onze heures. D'après la légende, les enfants de Lune naissaient à minuit pile. La reine avait renouvelé la lumière des étoiles. Puis, tout le peuple des fées était parti dormir. Mais la reine Mary du royaume des fées ne trouvait pas le sommeil. Elle avait le sentiment d'étouffer. La jeune fée se leva de son lit et son regard se promena sur sa pièce préférée. La lumière magique de l'astre de nuit colorait son havre de paix d'une lueur argentée, renouvelant le sentiment de confort qui se dégageait des meubles et des murs incurvés. Pourtant, cette vision familière ne suffit pas à calmer la reine. J'ai besoin d'air, décida-t-elle. Elle marcha jusqu'à la porte, jeta sa cape sur ses frêles épaules et sorti de sa chambre.

La reine Mary marcha sur la passerelle de diamant menant à la grande porte. Le palais de nacre luisait sous la lune. Aucun nuage ne gâchait le spectacle lunaire qui l'entourait. Mary fut prise d'un frisson et resserra ses bras autour d'elle. Un souffle de vent fit trembler les branches du grand arbre aux feuilles vertes dans lequel était perché le palais. Mary, mal à l'aise, avait un drôle de pressentiment. Quelque chose allait se passer. Elle le sentait. Un nouveau souffle de vent se leva, beaucoup plus puissant que le précédent, et la reine replia ses ailes, de peur de les abimer. La fée avait maintenant un drôle de pincement au cœur, quelque chose d'inexplicable et de violent. Elle tourna les talons au moment où sonnait minuit. C'est alors que retentirent les pleurs d'un bébé... Mary resta un instant figée, ébahie, refusant d'y croire même pas un instant. Un nouveau souffle de vent la sortit de sa torpeur, et les pleurs redoublèrent. La reine, glissant, trébuchant, courut vers les cris de l'enfant. La fée tomba à genoux aux pieds d'un berceau argenté, juste devant la porte de son palais. Dedans, une petite fée aux cheveux blonds bouclés, avec une unique mèche argentée dans cet océan d'or, sécha bien vite ses pleurs et tendit ses bras en riant vers la reine médusée. Les magnifiques yeux bleus de l'enfant la suppliaient de la prendre dans ses bras, de l'aimer et de l'élever comme sa fille, ce que Mary su qu'elle ferait toujours. Le petit visage rond, rieur et pacifique, incarnait toute la beauté de l'espèce. De minuscules ailes translucides se cachaient à moitié sous les couvertures. De grosses larmes, brillantes et pures comme du cristal, vinrent aux yeux de la jeune fée. De toutes les espèces, de toutes les créatures, c'est elle qui avait été choisie pour cette grande mission, ce grand honneur. Veiller sur la fille de la nuit. « Mon rôle est de protéger cette enfant », réalisa-t-elle. Alors elle sut ce qu'elle avait à faire.

Une semaine plus tard, la cour du royaume des fées résonnait sous les acclamations :

- Vive la princesse ! Fille aînée de la reine Mary ! Puisse-t-elle vivre longtemps !

La reine rayonnait. Officiellement, la petite venait de naître et était la vraie princesse des fées, la fille légitime de la reine. Personne ne savait, excepté Mary et sa vieille nourrice.

- Comment allez-vous l'appeler, majesté ? demanda l'une des suivantes.

Mary caressa tendrement la mèche argentée de l'enfant en murmurant :

- Je vais l'appeler... Selena.

** *

Sarin pris la tête de la procession d'elfes pour la deuxième fois depuis le début de son règne. Il était huit heures du matin. Une belle journée d'hiver. Un jour particulier. Le lendemain d'un jour encore plus particulier. L'instant de vérité allait arriver. Bientôt les portes de la forteresse allaient s'ouvrir. Et là... soit un enfant les attendrait, soit il n'y en aurait pas. Sarin entendait encore les cris déçus de son peuple au tout début de sa vie, et n'avait vraiment pas besoin d'une nouvelle épreuve. Et pourtant... pourtant, les rêves parlaient. Le roi regarda son fils, bien droit, à ses côtés. Caleb. Il n'avait que trois ans, mais il était déjà intelligent, débrouillard, et avait une parfaite maitrise de ses maigres pouvoirs. C'était justement ces pouvoirs, inhabituels, qui poussaient Sarin à espérer. Voilà quelques jours que l'enfant avait rêvé, et que chaque nuit il refaisait le même rêve. Chevelure de flamme. Mèche d'argent. Sentant un regard sur lui, l'enfant leva les yeux vers son père. L'assurance tranquille que dégageait son regard bleuté rassura le roi : son fils était sûr de lui. Restait à savoir s'il avait raison de se montrer si sûr... Sarin tourna son regard vers Alané, son épouse. La chevelure dorée de la reine scintillait sous le ciel d'hiver lorsqu'elle hocha la tête, pour l'encourager. Puisant sa force dans l'amour des siens, le monarque leva le bras, et les portes gravées de lunes s'ouvrirent lentement. Tous retinrent leur souffle. Alors Sarin vit. Il crut que les reflets de la lumière sur la neige d'un blanc étincelant lui jouaient des tours. Mais il était le roi des elfes. Rien ne pouvait tromper sa vision supra-développée. Or, cela signifiait que le berceau argenté était réel. Le roi s'approcha lentement du bébé qui dormait à l'intérieur. Les magnifiques cheveux roux de l'enfant mettaient en valeur le visage parfait et pur, aux traits d'elfe, de la fillette. Une mèche argentée était glissé dans ses cheveux de feu, et les petits poings crispés étaient d'une belle pâleur. Caleb avait eu raison. Le roi sut aussitôt que la Lune lui avait confié une mission, tout comme il sut qu'il s'en acquitterait. Il sut qu'il protégerait la petite fille que la Lune lui avait confiée, même si cela lui coûtait la vie.

Il se révéla que l'enfant était d'un calme étonnant et étrangement mature, même pour une elfe. C'est avec un sourire qui ne semblait plus vouloir le quitter que le roi Sarin murmura a l'oreille pointue de la fillette :

- La Lune, ta mère, t'a choisi un nom, un nom digne de toi, et elle me l'a transmis en rêve... Levana.

Elle releva la tête vers lui, ses yeux verts intenses transperçant le vieux roi, et, lentement, un sourire à la fois arrogant et magnifique se dessina sur ses lèvres douces et pâles.

** *

Lorsqu'il entendit les pleurs, à minuit, Fabrice cru d'abord à un effet de son imagination. Il vénérait la Lune depuis son enfance, et cette nuit était très particulière... Valérie, son épouse, le regarda avec la même surprise, la même incertitude... Mais leur fille n'avait pas leur vénération pour la déesse. Ravie qu'il se passe enfin quelque chose, l'enfant sauta au sol, et courut dehors.

- Se peut-il que...

Fabrice ne répondit pas. Il ne s'était jamais permis d'espérer être digne d'un tel honneur, ça ne pouvait...

- Elle est plutôt banale, dit tranquillement Amaniel, en rentrant chez elle. Je croyais qu'elle était extraordinaire !

Sortant de sa stupeur, Valérie tendit les bras, et sa fille lui remit l'enfant. La petite ne pleurait plus. Au contraire, elle tendit les mains et attrapa une mèche des cheveux noirs bouclés de sa nouvelle mère. Un adorable sourire se dessina sur son petit visage rond, encadré d'une chevelure marron chocolat. Une mèche d'argent pure comme l'eau d'une cascade était glissée dans ses cheveux, déjà longs. Une mèche si peu habituelle, unique au monde...

- Elle s'appelle Elleana, déclara Fabrice.

L'enfant tourna vers lui ses yeux marrons, et se mit à rire... Fabrice avait devant les yeux une magicienne tellement puissante qu'elle pouvait sauver ou détruire toute vie sur Ellendar d'un seul geste. Une magicienne, une fille de la nuit, des étoiles, une fille de Lune, un bébé, qui ne pouvait ni parler, ni marcher, et qui riait dans les bras de sa nouvelle mère...

** *

Cassandre était en train de cueillir divers champignons pour une nouvelle potion quand la nuit la surprit. Elle achevait sa cueillette calmement, comme toute sorcière qui se respecte lorsqu'elle rencontre un obstacle. D'une main ferme, bien que ridée par ses longues années de ramassage, écrasement et mélange d'à peu près toutes les plantes existantes au monde, elle essuya la terre grasse collée à sa longue robe, au niveau des genoux, avant de se diriger vers la grotte solitaire qui lui servait de laboratoire, dans les montagnes. La soirée de la Lune était survenue la veille, mais la vielle sorcière ne pouvait cesser d'y repenser depuis. Tout s'était bien passé. Comme ils l'avaient souhaité. En entrant dans la grotte, Cassandre laissa tomber son panier au sol, écarta de ses yeux le long rideau noir de ses cheveux, et s'approcha du petit lit argenté.

- Melena... murmura-t-elle...

La petite fille aux traits de sorcière, à la chevelure de jais, aux mèches argentées, dormait à poings fermés... Cassandre sourit, ravie. La machine était en marche. Les quatre enfants étaient chez elles. Tout allait pour le mieux. Il ne manquait qu'une minuscule pression, et tout se mettrait en route...

Ellendar tome 1 :  Le temps d'un secretOù les histoires vivent. Découvrez maintenant