7 : Melena.

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Melena ne savait plus quoi faire. Elle était bel et bien arrivée au village dont avait parlé sa mère, mais il était très tard. Il n'y avait plus personne. Sa mère... Si seulement elle était là ! pensa la jeune fille. En pensant à la sorcière, elle sentit ses entrailles se geler. Elle l'avait abandonnée, dans une tombe creusée à la va-vite. Elle ne méritait pas cette fin... pleura presque la jeune fille. Presque. Étant une sorcière, elle avait appris à cacher ses émotions, rendant la tâche difficile à n'importe qui prétendant pouvoir deviner ce qu'elle pensait. Cela comprenait également les larmes. Je n'ai pas trop géré dans ce domaine, ces derniers temps... pensa-t-elle, ce qui ne l'aida pas. Inspirant à fond, l'adolescente se mit à réfléchir. Elle s'appuya contre un bâtiment et créa un feu magique dans ses mains, destiné à la réchauffer. Cassandre était puissante. Très, très, très puissante. Tellement puissante qu'elle vivait depuis plusieurs centaines d'années. Un simple mortel, pouvoir magique ou non, n'aurait pu venir à bout de la vieille femme. Peut-être un elfe avec quelques notions de magie y serait parvenu, mais pas sans énormément de difficulté. La personne qui la cherchait, qui avait découvert l'existence de l'adolescente était très puissante. Assez puissante pour tuer la plus puissante des sorcières, ou du moins lui infliger des blessures si graves qu'elle ne pouvait les guérir seule, ou même avec l'aide de sa fille. Sa mère était morte pour la protéger. Elle est morte pour moi... A cette pensée, Melena faillit hurler de rage. Elle se redressa brusquement et se mit à faire les cent pas. Ce n'est même pas ma vraie mère, et elle est morte pour moi... pensa tristement la jeune fille. La jeune fille se répéta pour la millième fois les paroles de la sorcière : « J'ai failli dans ma mission. Ils connaissent ton existence. »


Sa mission. Sa vraie mère lui avait confié pour mission de prendre soin d'elle, de la cacher. Et maintenant, Cassandre était morte pour la protéger, pour accomplir sa mission. Elle n'avait pas eu le temps de voir sa fille devenir adulte, vivre sa vie... elle n'avait même pas eu le temps de lui apprendre ses véritables origines, son lien avec sa mère... Qu'importe, Melena n'en aimait que plus sa protectrice. Elle avait pris soin d'elle et l'avait aimée comme une vraie mère. Finalement, c'est à ma mère que j'en veux, en déduisit la jeune fille.

Elle s'arrêta brusquement de marcher et tendit l'oreille. Elle ne s'était pas trompée : quelqu'un approchait. Un enfant, ou une femme très légère, comprit-elle en écoutant le bruit des pas qui se rapprochaient. Melena se raidit. La sensation que quelqu'un était en elle-même, espionnait ses pensées, revint, avec énormément de force, cette fois. La personne approchait de la ruelle où elle était tapie, en attente. Melena, serra les poings, se préparant à se battre. Elle entendit l'étranger entrer dans la ruelle, s'approcher d'elle...

Avec un cri de guerre, elle bondit sur l'intrus en allumant ses paumes de braises brulantes. Elle entendit un cri de surprise. Une fille, devina-t-elle. Mais la lumière étincelante les avait toutes les deux aveuglées. Melena ne parvint pas voir son visage. Elle ne vit pas non plus le pied qui rentra en contact avec sa mâchoire, l'envoyant rouler à quelques pas de là.

- Tu es folle ou quoi ?

Melena releva la tête. Une jeune fille, d'à peu près son âge, la regardait avec colère. Elle avait des yeux marrons intenses. Ses cheveux étaient marrons, mais plutôt chocolat, et dedans, une mèche argentée brillait à la lumière du feu qui jaillissait des mains de Melena. Son expression était pleine de colère, d'incompréhension et d'une pointe de curiosité. Son visage était banal, mais Melena n'était pas dupe.

- C'est toi, dit-elle d'une voix rauque.

- Pardon ? répondit celle-ci. Je te signale que ce n'est pas moi qui t'ai dit de m'agresser dans la rue. Franchement, qu'est-ce qui t'as pris ? J'aurais pu te tuer !

Melena regarda l'étrangère plus attentivement. Bien que totalement différente d'elle, la jeune fille lui trouvait une certaine familiarité, comme lorsqu'on retrouve un vieil ami après des années de séparation. Mais Melena n'avais jamais rencontré personne d'autre que Cassandre et quelques sorcières avant ces trois dernières semaines. Le sentiment que quelqu'un était en elle s'était aussi calmé, chose très étrange en elle-même. Melena se demanda vaguement de quoi elle avait l'air, à fixer l'autre comme ça, puis elle décida qu'elle s'en moquait.

- Tu m'as entendue ? demanda la jeune fille. Je vois, tu es vraiment dingue.

- Je ne suis pas dingue, protesta Melena d'une voix qui paraissait stupide même à ses oreilles.

Puis, elle se souvint des paroles de l'inconnue et ajouta :

- Mais toi, tu ne pourrais jamais me tuer.

Sa voix, à son grand soulagement, avait repris un timbre normal, et même un peu arrogant. L'étrangère désigna l'épée qui pendait à son côté gauche, dans un fourreau de cuir.

- Je sais m'en servir. Tu n'as toujours pas répondu à ma question : Qu'est-ce qui t'as pris ? Qui es- tu ? Pourquoi es-tu là ?

- Ça fait plus d'une question, ricana Melena.

Mais, au fond d'elle, elle n'en menait pas large. Que dire ? Elle avait passé des années à cacher ses sentiments, à construire un mur pour les abriter. Mais sa « mère » lui avait dit de chercher trois filles. L'une d'elles était là, en face d'elle. Elle devait l'accompagner dans la forêt des elfes, puis chez les fées. Mais comment la convaincre ? Comment expliquer à quelqu'un qui n'avait pas connu Cassandre qu'elle avait toujours su quoi faire, et que si elle lui avait dit de la trouver, il y avait forcément une bonne raison ?

- C'est une longue histoire... avança-t-elle.

Au froncement de sourcils de la jeune fille, elle devina qu'elle n'avait pas donné la bonne réponse.

- Je m'appelle Melena, dit-elle pour donner le change.

L'adolescente tendit la main, non sans hésitation, et se contenta de dire ;

- Elleana.

La jeune fille regarda Melena avec un mélange d'hésitation et de curiosité, tandis qu'elle lui serra la main.

- Tu es une sorcière ? demanda Elleana avec hésitation.

- A quoi vois-tu ça ? s'étonna Melena.

- Le feu, répondit simplement l'autre. Et tes yeux.

Melena se trémoussa et baissa les yeux, mal à l'aise. Si les gens un peu érudits reconnaissaient ses yeux partout où elle allait, sa tâche allait être singulièrement plus compliquée.

- Je suis désolée, je ne voulais pas te vexer, dit précipitamment Elleana. C'est juste que je n'avais jamais rencontré de vraie sorcière, alors...

- Je comprends, la coupa Melena.

Elle préféra changer de sujet ;

- En fait, je te cherchais.

- Moi ??? s'étonna l'adolescente.

Elleana ferma les yeux et réfléchit un instant. Melena pouvait presque voir les rouages de son cerveau tourner. Enfin, la jeune fille dit :

- D'accord, raconte-moi. Pourquoi me cherchais-tu, au juste ?

Melena lui narra donc son histoire, depuis la découverte de ses pouvoirs, son apprentissage magique auprès de Cassandre, sa mort, la mission qu'elle lui avait confiée, jusqu'au moment présent. Contre toute attente, la jeune fille prit plaisir à se confier. Elle avait trop longtemps retranché ses émotions, et tout dévoiler lui faisait le plus grand bien, surtout si son auditeur était quelqu'un comme Elleana. Celle-ci écouta son histoire sans manifester la moindre surprise, comme s'il était parfaitement normal de converser de sa vie avec une sorcière dans une ruelle à minuit.

- En résumé, tu as été élevée par une sorcière, qui t'as appris à te servir de tes pouvoirs, qui est morte et qui t'a demandé de trouver trois filles avec des mèches argentées et de les emmener chez les anges pour qu'ils t'expliquent je ne sais quoi.

- Tu as oublié le côté « Cachez vos cheveux, et protégez-vous les unes les autres, vos destins sont liés» je ne sais pourquoi.

- Ah, oui, j'avais oublié ce côté-là.

Elleana soupira et passa la main dans ses cheveux en geste d'incompréhension. Elle regarda Melena, qui lui sourit avec lassitude.

- Et... marmonna l'humaine. Dans les pouvoirs que tu as. Peux-tu... peux-tu faire voire des choses à d'autre personnes ? Comme... dans des rêves, par exemple.

Surprise, Melena secoua la tête :

- Je ne peux pas contrôler les rêves. Enfin, je ne crois pas. Je n'ai jamais essayé. Pourquoi ?

La jeune fille hésita, et finit par dire

- J'ai rêvé de toi. Il y a quelques nuits. J'ai vu ton visage, et j'ai entendu ta voix, qui m'appelait.

- Je n'y suis pour rien, nia la sorcière, surprise.

Pourquoi l'une des adolescentes qu'elle devait trouver la voyait en rêve ? Une humaine, qui plus est. Cela n'avait aucun sens... Mais rien n'en avait, ces derniers temps.

- Alors ? finit par interroger la sorcière.

Comme la jeune fille la regardait sans comprendre, Melena précisa :

- Tu viendras avec moi ?

Elleana baissa les yeux, et réfléchit un moment. Melena ne l'interrompit pas, consciente du dilemme que sa proposition provoquait en sa nouvelle amie. Ah, tiens, j'ai une amie, maintenant... ironisa-t-elle en elle-même. Mais elle ne fit aucun commentaire. La jeune fille était bien ici, elle avait sa vie, sa famille allait bien et l'aimait. Pourquoi suivrait-elle une parfaite inconnue ? Mais, d'un autre côté, pourquoi portait-elle le fer ? Pourquoi ses réflexes de combattante ? En elle-même, elle avait forcément quelque chose qui l'attirait vers l'aventure, vers la sorcière qui avait senti si vivement la présence de cette humaine.

- Je...je ne sais pas, Melena, hésita Elleana. Je ne te connais pas vraiment...

- Tu en es sûre ? demanda doucement Melena. J'ai ressenti ta présence, je me sens proche de toi comme de personne. Je sais que nous sommes destinées à vivre ensemble une grande aventure.

L'adolescente regarda fixement la sorcière, et celle-ci se demanda si elle n'avait commis une erreur. Pourquoi lui avoir révélé ses émotions ? Encore une fois, se confier lui avait semblé naturel, non, nécessaire. Comme si elle avait besoin de cette humaine pour comprendre qui elle était réellement, comme si elle avait eu besoin de lui raconter sa vie pour que son passé prenne un sens. Mais bon dieu, que m'arrive-t-il ? pesta-t-elle intérieurement. N'ayant pas conscience des émotions troublantes de la jeune fille, Elleana murmura :

- Moi aussi je me sens proche de toi. Entière. Vivante. Je ne comprends pas pourquoi, mais au fin-fond de moi-même, je sais que...

Elle s'interrompit brusquement, et un long silence s'installa. Melena commença à croire qu'il ne s'achèverait jamais lorsque la jeune humaine reprit :

- J'en parlerais à mes parents. Ils sauront quoi faire.

Une grande déception envahit la sorcière. Jamais ses parents ne la laisseraient partir. Mais Elleana avait l'air sûre d'elle... Melena, elle-même surprise, décida de lui faire confiance :

- D'accord. Très bien.

Elleana la regarda, et lui dit :

- Attends moi demain matin dans la clairière près du lac, dans la forêt. Je viendrais t'y retrouver.

Melena hocha brièvement la tête, avant d'éteindre ses paumes. Les deux amies se serrèrent la main, et Elleana commença à s'éloigner.

- Oh, et si tu pouvais éviter de parler de moi à tout le monde, ça m'arrangerait... risqua Melena.

Elleana hocha la tête et recommença à partir, quand elle se retourna ;

- N'oublie pas, la clairière près du lac.

- Fais-moi confiance, avança Melena. En es-tu capable ?

Elleana réfléchit quelques instants, regardant sa nouvelle amie droit dans les yeux. Elle sembla hésiter, mais finit par hocher la tête brièvement, avant de disparaître dans la nuit. Melena se retrouva seule dans le village entièrement endormi. Elle réfléchit. Elleana avait accepté une sorcière dans sa vie sans rien dire. Elle rêvait trop d'aventure pour ne pas saisir cette occasion, se dit-elle en elle-même, sans savoir d'où elle tenait cette certitude. La fille lui avait semblé si ressemblante, si compréhensive... Pourquoi ? Elles n'avaient rien en commun, pas la moindre chose en dehors de leur âge et d'une mèche de cheveux. Comment expliquer le sentiment d'amitié, ou du moins de ressemblance qui les avaient unies dans les sentiments, dans les mots ? Melena ne comprenait pas, pas plus qu'elle ne comprenait pourquoi sa vie avait si radicalement changé, et ce en si peu de temps. Il y a des choses, comme celles-là, que personne, jamais, ne pourra expliquer. Mais souvent, la réponse est tellement simple que ça en devient risible... Seulement, cette réponse mettait souvent du temps à se manifester. Plus que deux, Cassandre, se dit la jeune sorcière, avant de sourire. Il ne m'en reste plus que deux à trouver...

Ellendar tome 1 :  Le temps d'un secretOù les histoires vivent. Découvrez maintenant