19 : Levana.

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Levana ne parvenait pas à cacher sa tristesse. Elle avait passé deux jours à attendre que ses sœurs se réveillent, et les voir sur pieds, ensembles, si complices... lui avait fait l'effet d'un nouveau coup de poignard en plein cœur. Elle donna un bon coup de pied dans un banc du jardin du palais, puis s'y assit. La nuit était magnifique. Les étoiles brillaient. Les fleurs, les fontaines, les bancs, le palais... Tout cela semblait luire sous la lumière de la Lune. La Lune... Comme elle doit être en colère contre moi... pensa Levana.

- Je suis désolée, mère, dit-elle en direction de l'astre nocturne qui semblait la regarder. Je suis désolée. J'essaie vraiment, tu sais. Mais je...

Levana sentit une boule se former dans la gorge, et elle eut du mal à ne pas éclater en sanglots. Elle parvint quand même à finir :

- Mais c'est dur quand on n'a pas de mère. J'aimerais tellement être une adolescente ordinaire...

Elle repensa à leur air désemparé, à la gentillesse d'Elleana lorsqu'elle avait réalisé qu'elle était sa sœur, et à Melena, qui demandait avec tellement d'espoir : « Tu sais quelques choses sur ce que l'on doit faire ? »

- Si tu savais, ma sœur...

Cette fois, elle ne put se retenir. Elle se mit à pleurer. Elle ne se rendit compte qu'elle n'était plus seule qu'en sentant des bras l'entourer. Elle reconnut le parfum de pin et de savon de Caleb, son frère adoptif, et se laissa aller contre son épaule. Comme elle, le jeune homme avait du mal à trouver sa place. Etant le prince héritier, il aurait dû monter sur le trône, ce qui l'aurait empêché de réaliser son rêve, devenir un héros de guerre. L'arrivée de Levana l'avait sauvé de son héritage, et lui avait permis de faire un premier pas en direction de son but, en devenant chef de la garde royale. Comme la jeune fille, il n'avait pas de mère. Caleb avait perdu la sienne très jeune, à la suite d'une attaque de loups-garou. Bien que des gardes aient tué les bêtes, la reine aux cheveux blonds comme les blés, qu'elle avait d'ailleurs légués à son fils, était morte quelques jours plus tard, à cause du poison des griffes de l'animal. Quand elle pensait que ses sœurs avaient failli connaître le même sort ! Encore une fois, Levana était la seule à comprendre la douleur qu'il ressentait. Et ils partageaient les mêmes passions. Caleb était le meilleur professeur de tir à l'arc que le monde ait jamais porté, et Levana, grâce à son enseignement, avait réussi à le surpasser. Loin de lui en tenir rigueur, le jeune prince était fier de dire qu'il avait formé la fille de la Lune représentant les elfes. En réalité, il avait fait bien plus que la former. Il l'avait élevée. Presque tout seul. Et à cause de son égoïsme, Levana avait tout gâché.

- Désolé, Caleb, pleura-t-elle. Je me suis conduite stupidement. Je n'ai pensé qu'à moi, je ne me suis pas montré digne de notre peuple, je suis sincèrement désolée...

- Je comprends ce que tu ressens, petite sœur, lui murmura le jeune elfe.

Levana cessa enfin de pleurer et se redressa pour fixer son frère.

- Je ne suis pas sûr que tu comprennes, le contredit-elle. Tu sais qui tu es, a quoi tu es destiné... même si tu n'aimes pas ton rôle, tu sais où est ta place. Moi, j'ai toujours cru que la Lune m'avait choisi, qu'elle croyait en moi, que j'étais quelqu'un de bien, qu'elle comptait sur moi ! Et d'un coup, je découvre que j'ai trois sœurs, qui ne savent même pas qui elles sont !

Caleb demanda doucement, comme s'il avait peur de la réaction de sa sœur adoptive :

- Est-ce vraiment un problème ? Je veux dire, avoir des sœurs, est-ce un problème ?

- Un problème ? murmura la princesse, blessée. Oh, Caleb, et moi qui croyait vraiment que tu comprenais...

La jeune fille se leva, et se mit à faire les cent pas :

- La Lune ne m'a pas choisie, pas plus qu'elle ne compte sur moi. Elle ne me fait même pas assez confiance pour exécuter la mission pour laquelle je suis née !

Le jeune elfe se leva, et pris sa sœur par les épaules :

- Je crois que tu ne te rends pas compte de ce que ça veux dire. La déesse compte sur toi, sinon tu ne serais pas née. En vérité, je crois justement que c'est parce que tu comptes pour elle qu'elle t'envoie tes sœurs. Ta quête sera dure, tu l'as toujours su. Ta mère t'envoie de l'aide. Ne sois pas en colère ou blésée, car ses filles prouve qu'elle veille sur toi, comme elle veille sur chacune d'elles.

Caleb soupira, et se rassie aux côté de sa sœur. Au bout d'un moment, le prince demanda :

- Je peux te poser une question ?

Levana hocha la tête, et il lui demanda la dernière chose à laquelle elle s'attendait :

- Quand il y a eu le lien... Qu'est-ce-que tu as ressenti ?

La jeune fille pris le temps de réfléchir à la question. A cette sensation brulante...

- J'avais chaud. Très chaud. Mais c'était une chaleur qui faisait du bien. Je sentais que j'étais... j'étais vivante, entière. J'étais en paix.

Caleb sembla chercher ses mots, et déclara :

- Je ne suis pas un dieu, je ne peux deviner les intentions de la Lune, mais à mon avis, ses filles sont une part de toi. Tu ne dois pas les accueillir avec colère, mais au contraire apprendre d'elles. Si elles n'étaient pas de bonnes personnes, crois-tu vraiment que tu serais si bien en leur présence ?

Levana poussa un grognement et marmonna :

- Je déteste quand tu as raison.

- Tu dois me détester souvent, alors, rétorqua le jeune elfe, une lueur espiègle dans le regard.

Levana lui sourit, et avoua :

- Tu as souvent raison. Surtout quand mes émotions m'aveuglent. Je suis contente que tu m'ais aidé à y voir plus clair.

- Je t'en pris, murmura le prince. C'est mon rôle de grand frère. Et c'est aussi le rôle de tes sœurs.

La princesse médita sur ses paroles quelques instant, et fini par dire :

- Demain, j'irais les voire. Et m'excuser. Je leur expliquerais.

- Voilà qui est faire preuve de sagesse, approuva Caleb. Reconnaitre que l'on a eu tords et œuvrer pour réparer ses erreurs, voilà ce qui rend vraiment la vie intéressante. Toute la magie du monde ne vaut pas celle de pouvoir à tout instant revenir en arrière, et se corriger.

Le jeune prince embrassa le front de sa petite sœur, et lui pris la main pour la raccompagner à l'intérieur du palais. Ils marchèrent en silence jusqu'à un croisement, ou ils se dire au revoir. Levana poursuivit seule son chemin jusqu'à sa chambre, en songeant à la manière dont Caleb l'avait doucement remise dans le droit chemin, en l'amenant avec douceur au cœur du problème. Ses dernières paroles, surtout, lui revenait tout temps à l'esprit. Toute la magie du monde ne vaut pas celle de pouvoir à tout instant revenir en arrière, et se corriger. Levana comptait bien réparer ses erreurs, et se corriger. La jeune fille arriva dans sa chambre, mais ne parvenait pas à fermer l'œil. Abandonnant l'idée de dormir de suite, elle se dirigea vers son bureau et pris une feuille et un fusain.
Elle passa un quart d'heure à gratter le papier. A la fin, elle regarda son dessin. Melena et Elleana la fixaient avec un sourire joyeux. Levana eut un pincement au cœur en pensant qu'elle avait reproduit les regards qu'elles avaient échangé, et pas un qui lui était destiné, mais elle se promit de faire qu'un jour, elle changerait les choses, et qu'un regard pareil lui serait adressé de la part de ses vrais sœurs. Elles étaient sa seule famille du sang, et, avant même de les connaitre vraiment, elle tenait à ses sœurs. Elle ne les abandonnerait pas.

Ellendar tome 1 :  Le temps d'un secretOù les histoires vivent. Découvrez maintenant