14 : Elleana.

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La première chose que remarqua Elleana, ce fut l'odeur de poussière et de renfermé. Elle toussa, et le son se répercuta autour d'elle, d'une manière fantastique et inquiétante. Elle entendit vaguement Melena éternuer à côté d'elle, avant qu'un grand bruit de chute, suivi d'un chapelet de jurons, la sorte de ses pensées. Les deux amies sursautèrent et se regardèrent, inquiètes. Elles n'eurent même pas le temps de parler qu'un nain apparut dans le fond de la pièce. C'était la créature la plus bizarre qui soit. Le nain avait la peau noire et ne mesurait pas plus d'un mètre vingt, mais sa ressemblance avec un enfant s'arrêtait là. Il était étonnamment musclé et poilu. Il avait un visage grotesque, presque amusant, et les deux amies auraient sûrement rit si son expression méfiante et son regard noir ne les en avaient pas dissuadées. Il était vêtu d'une tunique et d'un pantalon tout simples, et il tenait une armure à sa taille (très petite) couverte de poussière.

- Quoi ?

Sa voix était très grave, et il avait employé un ton très désagréable. Les deux amies se regardèrent, hésitantes.

- Alors, que voulez-vous ? Je n'ai pas la journée, moi !

- Nous cherchons... commença Melena.

- ...Connor, acheva Elleana.

Le nain les regarda avec méfiance, et son regard soupçonneux les parcourut de la tête aux pieds, avant de s'arrêter sur leurs cheveux, toujours cachés.

- Je suis Connor, dit le nain en les regardant. Alors, que voulez-vous ?

Les deux filles se consultèrent du regard, avant qu'Elleana ne se mette à parler ;

- Nous cherchons un guide.

Le nain quitta ses cheveux et la regarda droit dans les yeux. Pendant un instant, la jeune fille crut décerner une trace de douceur en lui, mais elle disparut bien vite, remplacée par sa brusquerie habituelle.

- Pour aller où ? dit-il du ton de celui qui avait failli se faire avoir.

- Chez les elfes.

Au grand soulagement d'Elleana, le nain ne leur rit pas au nez, mais son froncement de sourcils interrogateur lui fit comprendre qu'elles allaient devoir jouer serré. Le nain, lui, se contenta de tirer une pipe aussi grande que son bras d'un pli de sa tunique, avant de craquer une allumette et de tirer une bouffée de fumée, il regarda Melena ;

- Pourquoi ?

Les deux amies se regardèrent, hésitante :

- Comment être sûres que l'on peut vous faire confiance ?

Le nain les regarda tour à tour, avant de dire doucement :

- Si vous être venues ici, vous avez bien une raison...

- On cherchait un guide, répondit Elleana. On vous a indiqué, nous sommes venues, c'est tout.

Le nain ne semblait pas plus surpris que ça :

- Je ne veux pas être curieux, c'est juste, que... Comment comptez- vous me payer ?

Elleana échangea un regard avec Melena. Celle-ci lui fit signe de dire la vérité :

- Nous n'avons pas beaucoup d'argent.

- Pour ne pas dire pas du tout.

- Pas d'argent ? s'étrangla le nain. Et vous voulez que je vous serve de guide ? Hors de question ! Sauf, dit-il malicieusement, si vous avez d'excellentes raisons d'y aller...

Elleana écarta sa question d'un geste de la main, comme si elle était hors de propos, et dit simplement ;

- Nous en avons.

- Et... reprit le nain. Quelles sont-elles ?

Elleana se tourna vers son amie. Cette dernière sembla réfléchir, puis haussa les épaules, indécise. Elleana ne savait pas quoi faire. Elles devaient aller chez les elfes, mais elles ne devaient pas le crier sur tous les toits, et elles ne connaissaient pas le nain. Qui leur disait qu'il ne les trahirait pas à la première occasion ? Le forgeron avait dit qu'il était un escroc, un menteur... « Aie confiance en ton instinct, il ne te trahira pas. Fait ce qui te semble juste. » Elleana regarda autour d'elle, sans savoir qui avait parlé. Personne. Alors, comme son instinct le lui criait, elle prit une profonde inspiration, et se lança. Elle dit pratiquement tout au nain, exceptée la conversation qu'elles avaient eue le soir de leur premier jour d'errance, quand elles avaient parlé de leurs parents. A ce moment du récit, Melena lui avait lancé un drôle de regard, mais n'avait rien dit. A la fin de l'histoire, le nain resta plongé dans ses pensées pendant un long moment, tirant sur sa pipe, qui pourtant était éteinte. Il demanda finalement :

- Puis-je voir vos cheveux ?

- Je ne sais même pas pourquoi je m'étonne, bougonna Melena en enlevant sa seule protection.

Elleana suivit son exemple, et elles se retrouvèrent bientôt tête nue devant le nain. Un souffle de vent souleva lentement leurs chevelures, et Elleana se sentit étrangement libre, comme si on venait de lui ôter un grand poids des épaules, qu'elle n'avait même pas senti. Un étrange frisson la parcourut, un frisson qui lui procura une étrange sensation. Elleana tenta de saisir cette sensation, de mettre un nom dessus. Le pouvoir. Ce mot surprit la jeune fille. Et pourtant, elle sut aussitôt que c'était bien ça, cette sensation étrange. Du pouvoir. Moi, puissante ? s'étonna-t-elle. Chez elle, elle avait toujours été moins forte qu'Amaniel, sa sœur adoptive. Elle était belle, elle était gentille, intelligente, savait se battre... Comment Elleana aurait-elle pu se sentir puissante, à côté d'elle ? Pourtant, elle se sentait vraiment puissante, avec ses cheveux qui se courbaient dans le vent, qui s'enroulaient dans son cou, autour de son visage... Ama n'a pas les cheveux d'argent pur... Cette pensée lui donna envie de rejeter la tête en arrière et de rire à gorge déployée, sans même savoir pourquoi.

« Que m'arrive-t-il ? Je ne suis pas aussi arrogante, ordinairement... pensa la jeune fille.

« Elleana ? C'est toi ?

La voix provoqua un écho étrange en elle, comme si Amaniel lui parlait de chez elles. Mais non, ce n'était pas Ama. Elle l'aurait reconnue. Un sentiment de panique s'empara d'elle. Adieu, puissance...

« Qui es-tu ?

« Eh, calme-toi ! Je suis Melena. Es-tu Elleana ?

« Melena ? C'est toi ? Comment...

Elleana n'acheva pas sa question et se tourna vers son amie. Ses cheveux traçaient des motifs étranges autour d'elle, comme ceux d'Elleana l'avaient fait. La mèche argentée de son amie semblait luire, comme illuminée d'une lumière intérieure. Melena la regarda dans les yeux, et sa stupéfaction devait être la même que celle d'Elleana. D'ailleurs, la jeune fille ressentait cette stupéfaction en elle. Et, sans savoir l'expliquer, elle savait que c'était Melena.

« Je ressens en toi...

Elleana avait pensé cela de façon naturelle, et elle se rendit compte que c'était exactement comme quand elle parlait, mais mentalement. Elle n'avait pas besoin de réfléchir. C'était instinctif.

« Je ressens aussi. Elleana, pourquoi ? Ça me semble si facile... Comment faisons-nous ? Pourquoi maintenant ?

Bien qu'elles se regardent toujours, Elleana savait que ce n'était pas ses expressions qui lui faisaient savoir son humeur. C'était ce lien étrange.

« Je l'ignore. Melena, ce n'est pas normal. Je ne suis qu'une humaine, je n'ai aucun pouvoir, je ne suis pas comme toi...

« Cela n'a rien à voir. Sorcière ou pas, je n'ai jamais parlé comme ça à quiconque.

« Même pas à Cassandre ?

« Même pas à Cassandre.

- OH HE, VOUS M'ENTENDEZ ?

Les deux jeunes filles sursautèrent, et Elleana sentit le contact se rompre. Elle eut envie de crier « REVIENS » à son amie, mais elle ne dit rien, mal à l'aise. Ce lien lui semblait si rassurant, si familier... Pourquoi ? En tout cas, le rompre lui avait fait mal. Pas physiquement, mais pendant un instant, elle avait eu l'impression qu'on lui arrachait une part d'elle-même. Melena avait été si proche d'elle... Si proche qu'il avait fallu que Connor crie pour qu'elles l'entendent. Depuis combien de temps les appelait-il ? Elleana n'en avait aucune idée.

- Avez-vous le lien ?

Elleana remarqua avec surprise que le nain avait pâli, et qu'il semblait terrifié, et très agité.

- Alors ? dit-il d'un ton brusque. Avez-vous le lien ?

- Quel lien ? demanda Melena.

- L'avez-vous ?

- Oui, murmura Elleana.

Elle n'avait aucune idée de ce qui l'avait poussée à répondre, mais elle sentait qu'il devait être au courant.

- Et maintenant, reprit-t-elle, dites-moi, comment connaissez-vous l'existence du lien ?

Le nain se tordit les doigts, visiblement très agité.

- Vous ne savez vraiment pas qui vous êtes ? demanda-t-il, le front plein de sueur.

Elleana regarda Melena, visiblement aussi surprise qu'elle. La jeune sorcière baissa la tête, et Elleana détourna le regard, gênée. C'était la première fois que quelqu'un entrait dans ses pensées, dans ses sentiments. Comme c'était étrange... d'une part, elle se sentait vulnérable, comme si en entrant dans sa tête, Melena avait devinée tous ses points faibles. Mais d'autre part, elle ne s'était jamais sentie aussi bien qu'avec cette étrange connexion, comme si elle retrouvé une partie d'elle-même après une longue absence. Ce reconcentrant sur la question de Connor, la jeune fille secoua la tête et répondit :

- Ecoutez, nous vous avons dit tout ce que l'on sait. On vient tout juste de découvrir le lien, on ne sait pas pourquoi, on ne sait pas comment, et, pour répondre à votre question, on ne sait pas non plus qui on est. Que vous nous aidiez ou pas, c'est à vous de choisir, mais par pitié, si vous savez quoi que ce soit à propos de nous, vous devez nous le dire.

- Elleana a raison, renchérit Melena. S'il vous plaît ! Nous en avons assez de ne pas savoir. Si vous nous connaissez ou savez quoi que ce soit sur nous, dite le nous, je vous en pris !

Connor prit une grande goulée d'air, et dit ;

- Le lien permet de connaitre les sentiments des autres, et savoir ce qu'ils pensent. C'est très, très rare, et seuls des magiciens très puissants et qui puisent leur magie dans la même source peuvent l'entretenir entre eux.

- Je ne saisit pas, avoua Elleana, perplexe. Je ne suis pas une magicienne, les seuls sortilèges que j'ai essayée on lamentablement échoué ! Et, même si j'en étais une, je suppose que « la source », c'est ce qui nous donne nos pouvoirs. Melena est une sorcière, moi, même si j'avais des pouvoirs, je serais une magicienne.

- On n'est pas de la même espèce, approuva Melena. Comme pourrait-on avoir la même source de pouvoir, alors qu'elle n'a même pas de pouvoir ?

- Je l'ignore, soupira le nain.

- Et c'est tout ce que vous savez ? demanda Elleana.

Le nain sembla hésiter, avant de dire « oui », d'une voix qui ne laissait pas place au moindre doute. Mais les deux amies n'étaient pas dupes. Il était évident que Connor, quelle que soit la raison, leur mentait. Elleana pensa insister, mais avant qu'elle en eut le temps, le nain les surprit toutes deux, en disant ;

- Une chose est sûre, cependant : dès que nous serons prêts, je vous conduirai chez les elfes.


Ellendar tome 1 :  Le temps d'un secretOù les histoires vivent. Découvrez maintenant