Ellendar tome 1 : Le temps d'un secret

11 : Elleana.

Elleana ne savait que penser de la sortie de la forêt. Elle était déjà venue dans ce village, enfant, mais elle se sentait comme une étrangère, une bombe à retardement qui risquait d'exploser au moindre pas de travers. Elle se demanda si c'était ce qu'avait ressenti Melena, sitôt sortie des montagnes. Elleana soupçonnait que oui, et elle se surprit à avoir pitié de son amie. Elle réprima bien vite ce sentiment, sachant que la jeune fille aurait détesté ça. Le chemin menant au village était bordé de prairies et de champs, ce qui rendait Elleana encore plus nerveuse. Elle avait beau se répéter que tout se passerait bien, l'absence de cachette potentielle la gênait. Melena ne disait rien, et son silence ne faisait qu'augmenter le malaise de sa compagne.

- On y est presque, dit Elleana en se trémoussant, mal à l'aise.

Melena acquiesça en silence, tout aussi tendue. Elles s'arrêtèrent un instant, se regardant mutuellement, pour vérifier que leurs cheveux étaient bel et bien cachés, avant de pénétrer dans le village figé par le froid de l'hiver.

** *

Elleana eut l'impression de bouillir intérieurement. Elle ne se serait pas étonnée d'avoir de la fumée qui lui sortait des oreilles. Melena et elle étaient venues pour chercher de la nourriture et demander où elles pourraient trouver un nain (au cas où), mais elles n'osaient pas parler. Elleana se contentait donc de donner des indications à son amie pour les lieux où elles pourraient trouver de quoi se nourrir, et Melena négociait ce dont elles avaient besoin. Elleana se sentait donc inutile, pour ne pas dire quasiment encombrante. Même si elle tentait de le cacher, la jeune fille savait que Melena aurait donné n'importe quoi pour revenir en arrière, avant la mort de Cassandre, même si cela impliquait la perte de sa nouvelle amie. A leur grand déplaisir, leur désagréable impression qu'un danger les guettait ne se dissipa pas. Au contraire, elle se révéla exacte. En effet, vers le milieu de l'après-midi, alors qu'elles traversaient une ruelle déserte, sombre mais propre, elles surprirent une conversation entre deux hommes ;

- Qui c'était, d'après toi ?

L'homme qui venait de poser la question devait avoir environ la trentaine, pas beaucoup plus.

- Je l'ignore. Ils ne me disaient rien qui vaille.

Le second homme devait avoir la cinquantaine.

- Et leurs grandes capes ! reprit le premier. On ne voyait rien de rien, pas de souci à se faire ! Je veux bien qu'il fasse froid, mais quand même ! On n'a pas idée, de faire peur aux gens comme ça, conclut-il.

- Juste pour des enfants, je te jure !!! renchérit le deuxième. Franchement, je serais l'une de ces pauvres gamines, je me serais tirée depuis longtemps.

Elleana et Melena échangèrent un regard alarmé, avant de tendre l'oreille et d'entendre le premier dire :

- Je ne connais pas cette partie de l'histoire.

- Ils ne t'ont pas demandé ? s'étonna le plus vieux. Tu as de la chance !!! Ils sont venus me voir pour me demander si je ne connaissais pas deux adolescentes avec des mèches argentées, et si je n'en avais pas vu. Ils avaient l'air d'y tenir, crois-moi ! A faire peur...

- Avec des mèches argentées ??? demanda encore le plus jeune.

- J'ai évidemment pensé à la petite Elleana, tu sais, la gamine qui venait, autrefois. Elle était polie ! (le vieil homme siffla, avant de poursuivre) Elle avait une mèche argentée, pour sûr ! C'était la chose la plus étrange que j'aie jamais vue.

- Je me souviens !!! s'écria l'autre, avant de poursuivre, plus bas ; ma femme l'a toujours adorée. Toujours à trainer dans la bibliothèque, à poser des questions... quelle enfant adorable. Elle ne doit plus être si petite, maintenant.

- Justement, elle doit avoir pratiquement dix-sept ans ! Bien qu'elle ne les fasse pas, elle a toujours été petite... Enfin ! Une adolescente aux cheveux argentés... Je ne connais qu'elle. Evidemment, je n'ai rien dit ! Imagine...

Mais les deux adolescentes en question en avaient assez entendu. Sans le moindre bruit, elles retournèrent sur leurs pas, et n'échangèrent plus le moindre mot, jusqu'à ce qu'elles aient regagné l'abri des arbres. Là, Elleana se laissa glisser le long d'un tronc :

- Voilà, c'est fait.

Melena s'assit à ses côtés, sans le moindre mot.

- On veut notre peau, dit Melena.

- On lui doit une fière chandelle, à cet homme, renchérit Elleana. Il nous a sauvé la vie, en se taisant.

Elles restèrent ainsi pendant un long moment, à regarder la neige (qui s'était remise à tomber) tourbillonner dans l'air.

- Tout a l'air si calme ! remarqua à mi-voix Elleana. Nous pourrions être poursuivies par des centaines de créatures, la neige continuera de tomber, les rivières de couler, le jour d'arriver, la Lune d'apparaitre...

- Nous ne sommes qu'un point au milieu d'un tout, murmura Melena. Ana, Je ne comprends pas, pourquoi nous ?

Elleana secoua la tête, aussi désemparée que son amie.

- Je ne sais pas. Je ne comprends pas pourquoi mes vrais parents m'ont abandonnée, ni pourquoi on nous cherche. Je ne suis plus sûre de rien...

Les deux jeunes filles se regardèrent, et Elleana reprit, plus lentement ;

- Je ne sais pas pourquoi tout cela, mais je sais que Cassandre avait confiance en toi. J'ai confiance en toi, Melena. Je ne sais pas si nous avons raison de faire ça, de nous embarquer là-dedans, mais je te suivrai. Si Cassandre pensait que tu pouvais le faire, alors j'en suis sûre.

- Mais faire quoi, au juste ? Chercher trois ados et aller chez les anges. Je ne sais même pas pourquoi. Dois-je vraiment obéir, Ana ? Je suis perdue, chuchota-t-elle en écartant les bras, les larmes aux yeux.

Elleana se releva, s'approcha de son amie et la serra dans ses bras, comme Melena l'avait fait pour elle, il y a presque une éternité de cela, lui semblait-il. Melena tremblait de la tête aux pieds, mais pas de peur, plutôt sous le poids de tant de responsabilités et d'incompréhension.

- Ça va aller, murmura-t-elle. J'ai confiance en toi. Ça va aller.

Melena hocha la tête, gère convaincue. En elle-même, elle voyait des milliers de raisons pour que ça tourne mal.