Prologue

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Pianiste (n.m) : musicien qui a donné sa vie au piano.

- Nat' je te cherchais ! Antoine veut te voir, ça avait l'air plutôt urgent. Il t'attend dans son bureau.

- D'accord, merci Marine ! Je range ce dossier et j'y vais.

Je soupire un coup. Je ne suis pas stressé, d'ordinaire, mais la situation n'est pas tout à fait habituelle. Qu'est-ce que mon patron peut bien me vouloir ? L'article sur lequel je bosse est fini en avance, je voulais le relire une dernière fois avant de lui envoyer, mais j'ai encore bien trois jours avant la deadline, ce n'est sûrement pas ça. Il me fait confiance, d'habitude, je ne supporte pas le retard et j'ai toujours tout prêt en avance. Il ne me proposerait pas une augmentation non plus, le journal ne se porte pas si bien que ça ces derniers mois, et je n'ose même pas formuler d'autres hypothèses dans ma tête. Tout ce que je peux espérer, c'est qu'il ne me renvoie pas, j'ai besoin de ce boulot.

Je rassemble rapidement les liasses de feuilles éparpillées en un tas plus ou moins propre et je me dirige vers le bureau d'Antoine, la boule au ventre. J'ajuste mon nœud de cravate et tente de recoiffer mes cheveux mais en vain, ce n'est pas aujourd'hui que je viendrai à bout de mes épis. Un coup d'œil à l'écran de mon téléphone et je lâche un juron. Déjà onze heures, j'avais promis à ma mère d'être là-bas à midi mais je ne vais sûrement pas arriver à temps. J'envoie un rapide SMS pour limiter la casse mais je n'en suis pas convaincu. Quelle idée de venir au boulot un samedi matin aussi.

Je m'arrête devant la porte de verre et d'acier et je m'arrête pour respirer un coup. L'écriteau indique A. Lereau – Directeur Général. Même si j'ai souvent affaire à lui pour des articles qui ne sont pas couverts par les différents secteurs du journal, se faire convoquer dans son bureau n'est jamais une partie de plaisir. C'est un homme dur et fier, avec lequel aucune erreur ne passe. Je n'ai même pas le temps de toquer une deuxième fois que sa voix grave retentit, m'invitant à entrer. Je réprime un frisson et abaisse la poignée glacée.

Il se tient derrière son bureau, les lunettes tombant sur son nez, plongé dans des dossiers. Sa tête chauve contraste avec la barbe fournie qu'il entretient avec soin, exhibant presque avec fierté ses poils grisonnants. Tout le long des murs les étagères croulent sous les livres et sous les dossiers, toute l'histoire du journal depuis sa création.

- Ah, Lebrun, je vous attendais.

- Vous saviez que j'allais venir ce matin ?

- Pas avant que vous n'arriviez non. J'ai l'air de pouvoir prédire l'avenir ?

La petite pique ne passe pas inaperçue et je m'éclaircis la gorge, mal à l'aise. J'aurais mieux fait de me taire, ça m'apprendra à vouloir échanger des banalités.

- Non ? Très bien. Je reprends donc. Je vous attendais. Pourquoi ?

- Si c'est à propos de l'article sur Einstein, j'ai tout de prêt, je comptais le relire une dernière fois et ...

- J'en ai rien à faire de cet article inutile que personne ne lira. Réplique-t-il sans ciller. Ce que je veux, c'est du jamais vu, du sensas. Le journal perd ses lecteurs, il sombre dans le désintérêt aux côtés des autres journaux, mais nous n'allons pas le laisser couler. Je sais que je peux compter sur vous, Lebrun. Ecrire, vous avez ça dans le sang.

Il se lève et pose ses deux mains gigantesques sur le bureau, et plante son regard dans le mien. Il m'a toujours intimidé, mais là, je me sens encore plus futile à ses côtés. Physiquement, je n'ai aucune chance contre lui. Je ne suis qu'une allumette trop légère pour mes 1 mètre 80, et le peu de sport que j'ai fait au collège ne me sauvera pas face à ses muscles visibles sous son costume. La seule chose qui diminue mon angoisse est le fait de connaître son addiction aux gâteaux à la fraise. On ne peut pas faire moins crédible. J'attends en silence qu'il m'explique en détails ce qu'il attend de moi. Je connais ma valeur, je sais ce que je peux faire, mais faire ressusciter le journal me paraît un peu gros quand même. D'autant plus qu'il risque de me faire travailler sur un projet qui ne m'intéressera probablement pas, ce qui n'est pas pour me faire plaisir.

Ton coeur au bout des doigtsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant