Chapitre 10

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Refus (n.m.) : Action de ne pas accorder ce qui est demandé.

Je bous littéralement de rage. Tous mes muscles sont tendus, mais je dois me retenir. L'article est là, dans mon sac, mais je ne le donnerai pas. Et mon boss n'aime pas ça du tout. Je suis arrivé au bureau ce matin, et depuis trente minutes je subis la rage de cet homme dans son bureau d'ordinaire silencieux. Je savais à quoi m'attendre en refusant de lui donner cet article. Mais je ne vois aucune raison valable de publier cet article, il suffit d'un peu d'empathie pour s'en rendre compte, malheureusement mon patron en est totalement dépourvu.

- Tu n'es qu'un bon à rien Nathanaël ! s'écrie-t-il. J'aurais dû te virer dès ton premier article où tu as montré que tu n'en faisais clairement qu'à ta tête !

- Eh bien virez-moi ! C'est tout ce que vous attendez.

Il me regarde de ses petits yeux sombres et inspire un grand coup. Il sait qu'il doit se calmer car j'ai tendance à crier plus fort et plus longtemps que les autres, il l'a appris à ses dépens. Et il n'aura rien de cette manière. Il souffle bruyamment avant de demander avec un sourire forcé :

- Si ton article est dans ton sac, pourquoi tu ne me laisserais pas y jeter un œil ? Juste pour voir.

- A quoi bon, la une de tous les journaux ne parle que de lui. Vous n'avez qu'à reprendre leurs articles à eux, ou alors ne rien écrire sur lui si vous voulez rester original, je crache.

- Ne joue pas à ça avec moi, je te préviens.

- Et pourquoi ? c'est à mon tour de crier. Vous vous en foutez des gens, de ce qu'ils peuvent ressentir, tout ce que vous voyez, ce sont les mots des articles et les chiffres de vos comptes en banque, mais pas une fois vous ne vous êtes posé la question de savoir si vos employés se sentaient bien ! Est-ce que vous vous rendez compte de ce que vous m'avez demandé pour faire cet article ? D'à quel point j'ai pu me sentir mal par rapport au sujet ? Non, parce que vous n'êtes pas humain. Vous n'avez pas de cœur, vous n'avez jamais pu développer ce que l'on appelle communément l'empathie. Et là, la vie d'un homme est brisée, et pour vous tout ce qui compte c'est de publier un article du tonnerre sur sa vie merveilleuse avant le drame ? Vous me dégoûtez, je démissionne.

Je tourne les talons et sors du bureau sans attendre de réponse, dans un silence plutôt inquiétant. Je descends les escaliers en courant et je me précipite dans le premier taxi qui vient une fois dehors. Je n'ai pas la force d'affronter mes collègues, ou plutôt anciens collègues. Je reviendrai un autre jour chercher mes affaires et régler tout ça officiellement, mais je me sens mieux d'avoir explicité à mon patron ce que je pensais de lui.

Quand j'arrive dans mon appartement, Alessio est assis sur le canapé à regarder la porte d'entrée, un air effrayé sur le visage. Je m'approche doucement et le prends dans mes bras, attendant que les battements de son cœur se calment. Il est sorti de l'hôpital il y a deux jours, et depuis il dort chez moi. Il n'arrive pas à retourner dans sa maison, et encore moins seul. Il a encore trop peur qu'Elisa envoie quelqu'un terminer ce qu'elle a commencé.

- Comment vont tes mains ? Je chuchote.

Il me regarde et ses yeux se remplissent de larmes. J'ai l'impression d'être de retour à l'hôpital, une semaine plus tôt, alors qu'il venait de se réveiller. Nous étions tous les deux dans la chambre, et le docteur est rentré. Il paraissait optimiste de voir Alessio se réveiller, et il a commencé à lui demander comment il allait. Mais ce dernier ne s'est pas laissé avoir, et il a demandé d'une toute petite voix : « Vais-je pouvoir un jour toucher un piano ? ». Le médecin l'a regardé, il m'a regardé, et il a déclaré « non » sèchement, avant de quitter la chambre. Alessio a tellement pleuré ce jour-là qu'il a fini par s'endormir entre deux sanglots, complètement épuisé. Je n'ai jamais vu quelqu'un aussi détruit.

Ton coeur au bout des doigtsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant