Chapitre 12

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Faille (n.f.) :Faiblesse dans des fortifications qui peut être mise à profit par l'ennemi. 

           Etonnamment, l'après-midi s'est bien passé, et Martin et Alessio semblent bien s'entendre, même si c'est toujours difficile de déterminer ce que pense le pianiste à travers le peu de mots qu'il prononce. Et il est resté particulièrement silencieux en présence de mon ami d'enfance. Je raccompagne ce dernier à la grille quand il m'attrape le bras et me dit sérieusement :

- Nat', je te connais et j'ai peur que tu t'embarques tête baissée dans quelque chose qui va totalement te dépasser. Je sais que tu tiens à l'aider. Je sais que tu tiens à lui tout court, mais ouvre les yeux, ça ne pourra pas te rendre heureux. Il est trop abîmé pour que tu puisses l'aider, et ça risque de te faire plus mal que de laisser tomber maintenant. Il a bien d'autres proches non ? Tu ne devrais pas te lancer corps et âme dedans, pas comme tu l'as déjà fait pour ta carrière. Tu en paies encore les conséquences aujourd'hui, Nat', et un jour ou l'autre le passé te rattrapera. Il nous rattrapera tous mais je ne veux pas te laisser faire deux fois la même erreur. Alors prends un peu de recul par rapport à Alessio, il n'est pas bon pour toi. Je sais que ton cœur te crie de rester avec lui, je sais ce que c'est, crois-moi, mais pour une fois laisse parler ta raison à sa place.

Il part sans me laisser le temps de protester, et c'est l'esprit embrouillé que je me dirige vers la maison. Peut-être a-t-il raison, je devrais abandonner, mais je ne veux pas. Il n'a personne d'autre. Il ne veut personne d'autre, il ne me veut même pas moi. Et je ne veux pas le laisser tout seul, il a besoin d'aide. Physiquement, il n'est même pas capable de s'occuper de lui-même avec ses deux mains. Et moralement, je pense qu'il serait capable de rester seul, au risque que ça le détruise encore plus. Alors non, je ne veux pas. C'est vrai que je me suis jeté tête baissée pour pouvoir faire le métier de mes rêves, et je suis bien conscient de cette épée de Damoclès qui plane au-dessus de ma tête, mais c'est comme ça. Et je ne ferais rien d'illégal pour protéger Alessio, rien qui soit immoral. Donc je n'ai rien à craindre.

Des bruits de voix me parviennent du salon et je me tends automatiquement, mais je soupire en remarquant qu'elles viennent d'une télévision que je n'avais pas remarquée avant, enfermée dans un placard en bois massif. Alessio est assis, ou plutôt avachi devant un film d'action et je souris doucement avant de partir dans la cuisine préparer le repas. Il faut que j'aille acheter de quoi manger, alors je préviens le brun et je sors, laissant l'air frais du soir jouer dans mes cheveux. Voir Alessio regarder un film comme une personne normale m'apaise, je crois que ça me donne de l'espoir. C'est donc d'un pas assuré que je rentre dans la petite supérette, et aussitôt les regards convergent vers moi. Je sais que mon physique attire souvent l'attention, mais pas à ce point, alors ce doit être à cause de toute cette histoire. Mais je ne crois pas avoir été pris en photo, donc comment pourraient-ils me reconnaître ? Je m'arrête devant la colonne à journaux, ignorant du mieux que je peux les regards insistants et mon cœur s'arrête de battre. C'est la même photo, en couverture de tous les magasines People. Les titres varient, mais tous me dénoncent comme celui responsable de l'état d'Alessio. Celui qui joue avec ses sentiments. Car oui, la photo a été prise alors qu'on sortait de l'hôpital, une bonne semaine plus tôt. Et mon bras autour de ses épaules est bien remarqué. De même que le baiser que je venais de déposer sur sa joue. Je lâche un juron entre mes dents. Même dans la musique classique ils ont des photographes à chaque coin de rue ? Je comprends qu'ils s'inquiètent pour Alessio, mais de là à faire un scoop avec moi, un pauvre petit journaliste inexistant ... Je fais mes courses en serrant les dents, évitant tout contact avec une autre personne et je rentre à la maison, hors de moi.

Alessio est toujours devant son film mais lève ses jolis yeux sombres vers moi alors que je claque la porte d'entrée, et je vois l'inquiétude se mêler à l'incompréhension dans son regard. Il se lève et s'approche de moi doucement, pour me dire tout bas :

Ton coeur au bout des doigtsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant