Chapitre 1

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Famille (n.f.) : communauté de personnes réunies par un nom vivant sous un même toit, apportant des obligations de solidarité morale et financière.

Le bus me dépose devant l'allée privée, et c'est à reculons que je m'y engage. Je ne suis même plus impressionné par la taille des baraques qui m'entourent, par les jardins entretenus jusqu'au moindre brin d'herbe, par les bagnoles impeccables qui s'alignent sur les bords, non, je suis juste blasé. Je regarde mon portable, je suis déjà en retard, donc autant ne pas prendre le risque de péter un câble. Je me mords les lèvres en sortant mon sac. Je m'étais promis d'arrêter bordel ! Mais là je ne peux tout simplement pas, alors j'attrape mon paquet de cigarettes et j'en sors une que je coince entre mes lèvres, me détendant rien qu'au contact de la feuille sur ma bouche. Je l'allume et j'inspire un grand coup, laissant la nicotine imprégner mes poumons. Je me tue à petit feu, j'en suis bien conscient, mais j'en ai besoin. Je laisse quelques instants le tabac me calmer avant d'écraser mon mégot du bout de la semelle. J'aurais besoin de courage pour aller appuyer sur la sonnette.

Sans grande surprise, la porte s'ouvre peu de temps après, laissant entrevoir ma mère dans l'embrasure. Et son expression ne laisse présager rien de bon pour moi. Parfaitement conservée du haut de ses soixante-deux ans, elle me regarde avec ses yeux bleus lançant des éclairs qui m'effrayaient tant il y a encore quelques années. Elle pince les lèvres en me regardant de haut en bas, puis finit par déclarer de sa voix sévère :

- Je vois que tu as au moins fait l'effort de t'habiller convenablement, Nathanaël. Mais ça n'excusera pas ton retard. Je croyais que tu ne travaillais pas le samedi matin ?

- Je ne travaille pas le samedi matin, mam's. Mais j'avais un dossier à déposer et ... mon boss m'a demandé quelque chose de plutôt extraordinaire ...

- Tu nous raconteras tout ça à l'intérieur. Le repas refroidit depuis toute à l'heure, et Marie-Jeanne est au bord de la crise de nerfs. Alors arrange moi tes cheveux, pose ta veste et dépêche-toi de venir t'asseoir à table.

Je rentre dans l'entrée richement décorée et soupire de bonheur en sentant le délicieux fumet qui arrive jusqu'à mes narines. Rien n'est mieux qu'un bon rôti, même si pour cela on doit se farcir un repas de famille. Je pose ma veste sur un cintre et je fais à peine un pas que ma mère me retient par le bras, et chuchote d'un air menaçant.

- Ne me dis pas que tu as recommencé à fumer, Lebrun, ou je ne donne pas cher de ta peau !

Je déglutis péniblement et me tourne vers ma génitrice, qui remet rageusement une mèche blonde dans son chignon serré. Cramé.

- On en reparle plus tard, le repas refroidit. Estime-toi heureux, Nat'.

Elle repart en faisant claquer ses talons sur le parquet parfaitement ciré, et je la suis dans la salle à manger où toute ma famille est là. Je fais le tour de la table en disant bonjour, et je vais m'asseoir à ma place, coincé entre mes deux cousins. Non pas que je n'aime pas ma famille, loin de là, mais les De Saurin, chez qui nous avons été invités, sont d'éducation trop ... classique pour que je me sente à l'aise avec eux. Et leurs cinq enfants ne jurent que par leurs parents, tous plus vieux que moi et n'ayant encore jamais appris à réfléchir par eux-mêmes. Entre les directeurs financiers et les banquiers d'affaire, ce n'est pas l'argent qui leur manque, à eux. Mais quelle vie, quel ennui ...

- Alors, Nathanaël. Commence ma tante Marie-Jeanne. Ta mère nous a dit que tu avais été retenu au travail par ton supérieur pour une affaire urgente. Et si tu nous en disais plus ?

- Je vais devoir faire un article sur un pianiste, je réponds tranquillement. Il veut me tester.

Des chuchotements surpris parcourent la grande table, et j'arrive à croiser le regard encourageant de mon grand-frère. J'entends à ma droite mon oncle chuchoter tout bas à son aîné :

Ton coeur au bout des doigtsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant