Musique (n.f.) : assemblement de sons à hauteurs et intervalles spécifiques, apportant à l'esprit une idée de chose bien ordonnée et agréable.
Le café me brûle le fond de la gorge et je ne peux retenir une quinte de toux. Qui déclenche immédiatement le rire de Marine et Gaëtan. Des amis en or.
- Bon, Globe-Trotter. Pourquoi tu pars à Bordeaux sur un coup de tête comme ça ? me demande mon meilleur ami.
Je soupire. A ma grande surprise, il a attendu aujourd'hui pour me cuisiner. Même si j'ai passé une excellente soirée hier, à ne pas penser à cet article du tout, il n'arrête pas depuis ce matin, et je ne sais pas si je tiendrais encore longtemps. Heureusement pour moi, mon train ne part pas dans longtemps. Plus qu'une dizaine de minutes à tenir ma langue qui semble vouloir se délier.
- Je suis sûre qu'il y va pour son article ! s'exclame Marine, fière d'elle.
- Bravo Sherlock. Ironise le blond. Mais qu'y a-t-il de spécial dans cette magnifique ville ? A moins que ...
Il passe sa large main au milieu de ses boucles blondes en me fixant intensément. Je déglutis difficilement. Je pense qu'il a compris.
- Marine. Regarde les concerts à Bordeaux ce soir. Tout de suite.
Alors que la jeune fille tapote à la vitesse de l'éclair sur son écran, mon ami ne me lâche pas des yeux. Il croise les bras, concentré, et un léger sourire en coin vient orner son visage. Il a compris. Et il en est fier. Son sourire s'agrandit jusqu'aux oreilles quand la brunette s'écrie en levant son portable :
- J'ai trouvé ! Ce soir, demain soir et après-demain soir, Alessio Barese se produit au Grand Théâtre. Son programme : Ballades et Mazurkas de Chopin. Eh bah, Nat', j'ai du mal à croire que tu n'y connaisses rien pour avoir réussi à dénicher cette place, il n'y en a pas une seule en vente.
- Les ballades de Chopin ? Rien que ça ? Rassure-moi, Nat'. Dis-moi que tu as écouté un peu à quoi ça ressemblait. Que tu sais qui est Chopin. Non, en fait, ne dis rien, ça ira mieux. Finit par soupirer Gaëtan.
Marine éclate de rire et déclare qu'il est temps pour elle de retourner travailler. Elle me serre dans ses petits bras un court instant avant de sortir de la salle de détente. Je reporte mon attention sur l'homme qui n'a pas bougé d'un poil.
- Donne-moi ton portale.
- Pourquoi ? je m'exclame, surpris de sa requête.
- Pour le balancer dans les toilettes, tu crois quoi ? réponds Gaëtan au tac au tac. Non, je rigole. Je vais te passer mon compte Spotify, tu vas télécharger de la musique de Chopin. Je t'interdis d'aller à ce concert sans avoir écouté une seule note de ce compositeur de génie. Tu ne te rends pas compte de la chance que tu as, Nat'. Y en a qui tueraient pour avoir ce billet, et si tu ne veux pas te retrouver malencontreusement poussé par la fenêtre alors qu'on est au 7e étage, tu me feras le plaisir d'écouter ça dans le train. Je te passe mon casque, fais-y attention.
Joignant le geste à la parole, il me met son précieux casque dans les mains sans attendre de réponse et me rend mon portable. Il me dit au revoir à son tour et me voilà sur le chemin de la gare, mon sac sur le dos et mes mains dans les poches.
J'ai rarement vu Gaëtan aussi sérieux. Il est toujours à rire de tout, et n'arrive pas à tenir plus de cinq minutes une conversation sérieuse. Mais là, c'était tout à fait différent. Et il y a quelque chose dans cette histoire que j'ai du mal à comprendre. Comment ce pianiste arrive-t-il à changer les gens à ce point ? J'ai l'impression de voir mes proches se métamorphoser lorsque je leur parle de cet article, des étoiles s'allument dans leurs yeux et un air rêveur s'installe dans leurs traits. Je n'avais jamais vu ça avant, et même si la musique est vraiment quelque chose que je n'aime pas du tout, ça me rend curieux. Je suis presque impatient d'être au concert, rien que pour le voir de mes yeux une fois. L'expérimenter. Parce que de ce que je comprends, c'est vraiment une expérience à vivre, d'aller écouter ce pianiste. J'y réfléchis encore quand le train arrive dans un grand bruit à la gare. Je m'installe et je sors mon portable et le casque prêté par mon meilleur ami. Je souris en voyant le post-it qui était coincé à l'intérieur :
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Ton coeur au bout des doigts
RomansDeux hommes, deux mondes, deux langages. L'un est pianiste, maladroit avec les mots, détestant tout ceux qui arrivent à les manier. L'autre est journaliste, convaincu que la musique est un art inutile, n'ayant jamais envisagé d'en écouter pour le pl...