Chapitre 13

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Passion (n.f.) : Sentiment affectif intense d'une personne envers une autre personne, un objet ou un type d'action, souvent irraisonnée.

Il me regarde comme si j'avais dit la chose la plus absurde qui puisse être, et mon sourire se fige. Ce n'était pas une bonne idée, au vu de sa mâchoire contractée.

- Sors de ma chambre.

Je m'exécute, et je referme doucement la porte derrière moi pour échapper à ce regard glacial. J'entends un grand bruit, du verre qui se brise et quelque chose qui tombe sur les touches du piano. Encore une fois, il laisse sortir ses émotions, mais je ne peux pas m'en réjouir. C'est juste qu'il n'en peut plus, que c'est trop pour lui. Et chaque fois j'ai peur que la prochaine soit celle de trop pour sa vie en général, et qu'il commette l'irréparable. Je reste assis sur la moquette claire du couloir, écoutant tous les bruits provenant de sa chambre, la gorge nouée et les poings serrés à force d'entendre ses sanglots. J'ai peur de sa réaction si je rentre maintenant, alors je le laisse revenir de lui-même. La porte s'ouvre brusquement quelques minutes plus tard, et Alessio me lance un regard mauvais avant de déclarer :

- Entre, si c'est ce que tu veux. Mais si tu commences, tu ne renonces pas. Et surtout, tu fais ce que je dis, tu appliques à la lettre mes instructions. Sinon ça ne sert à rien. D'accord ?

Je hoche la tête, et je le vois se détendre. C'est le signe que j'attendais, et je le prends dans mes bras. C'est si douloureux lorsqu'il me repousse comme ça, j'ai besoin de le sentir près de moi. J'inspire profondément son odeur et je resserre mon emprise alors que ses bras fins passent dans mon dos et que sa tête se cale sur mon épaule. Nous restons quelques instants comme ça, puisant dans ce contact tout le courage et l'énergie nécessaires pour continuer d'avancer. Je vole un baiser au brun avant d'aller m'asseoir à nouveau sur le vieux tabouret de piano. Alessio prend une chaise et se met à ma droite, de telle sorte que j'ai accès à tout le clavier.

- Pour commencer on va faire très simple. Ce piano est un piano droit, un Pleyel qui a appartenu à mon père dans sa jeunesse. Ce n'est pas un piano de concert mais je l'aime beaucoup. Derrière le salon, il y a une pièce où il y a un vrai beau piano à queue, un Steinweg, mais tu ne joueras dessus que quand je serai sûr que tu ne l'abîmeras pas. Sur un piano tu as deux ou trois pédales, mais le plus régulièrement trois. C'est pas pareil qu'en voiture, ton pied droit ne bougera pas de devant la pédale de droite pour l'instant.

Il continue ses explications, complètement absorbé dans ce qu'il me dit. Et j'écoute, j'enregistre tout ce que mon cerveau est capable de retenir. Il parle encore beaucoup, m'expliquant tout ce que je dois savoir selon lui avant même d'essayer de jouer au piano. Il m'emmène voir le piano à queue pour m'expliquer la mécanique, puis nous remontons enfin. Cela fait trois heures qu'il a commencé, et je n'ai toujours pas posé mes doigts sur le clavier. Il m'a fait prendre un tas de livres et cahiers avec nous, puis il en sort un, et le pose sur le porte partitions.

- C'est la méthode de piano avec laquelle j'ai débuté, il m'explique en ouvrant à la première page. Alors on va commencer par là.

C'est long et laborieux, et par-dessus tout ce travail n'a aucun intérêt. Je répète mes notes sans m'arrêter, les doigts tremblant, comptant à voix haute ou récitant le nom des notes que j'apprends une par une. Je suis arrivé au sol quand le gargouillement de nos estomacs nous arrête. J'ai mal au dos et aux bras tellement je suis tendu et concentré sur mon travail, et je n'ai pas envie de reprendre, mais je sais que je n'ai pas le choix. Je savais que si je me lançais là-dedans, pas moyen d'en sortir. Nous mangeons rapidement puis Alessio ne me laisse aucun instant de répit et me traîne jusqu'au petit piano marron.

Ton coeur au bout des doigtsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant