Ton coeur au bout des doigts

Chapitre 11

Bonheur (n.m.) : sentiment convoité par les hommes, souvent lié dans l'idéal d'une société à une relation amoureuse stable.

Je regarde le docteur avec insistance, mais il évite soigneusement de rencontrer mes yeux courroucés. Je jure que s'il ne le dit pas bientôt, c'est moi qui lui annonce. Même si c'est moi qui fais pleurer Alessio. Il a le droit de savoir après tout, ce sont ses mains, pas les miennes ni celles du docteur.

- Monsieur Barese. Il commence d'une voix mal assurée. Nous avions déjà parlé de l'éventualité de ne plus jamais pouvoir rejouer au piano comme avant. Eh bien il semblerait que ... Vous n'ayez plus jamais l'usage de votre main gauche.

Je n'en reviens pas. Il l'a lâché comme ça. Sans pincettes, rien. A ma grande surprise, Alessio ne réagit pas mais je lui attrape quand même sa main droite doucement sous le bureau et il entremêle aussitôt nos doigts. Il a besoin de mon soutien, mais je ne peux pas faire plus pour l'instant, alors je lui transmets tout ce que je peux à travers ses doigts affaiblis. Le médecin me jette un coup d'œil furtivement avant de reprendre :

- Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour sauver vos deux mains mais ... Le nerf sectionné est une blessure que nous ne pouvons pas guérir, et il a un énorme impact sur tous les autres nerfs de votre main. En bref, puisqu'il n'a plus de destination pour envoyer les messages nerveux, il ne les accepte plus et par leur proximité importante, les autres nerfs adoptent parfois un comportement similaire. Vous pouvez donc bouger vos doigts, sauf le pouce, mais il se peut que parfois il y ait des blocages, et que vos doigts ne répondent plus tout à fait comme avant. C'est normal, et il ne faut pas s'en inquiéter. Et pour votre main droite, il faut continuer à immobiliser encore longtemps, et surtout beaucoup de repos. Après, la rééducation sera longue et difficile, mais je suis sûr que vous trouverez une motivation pour cela, n'est-ce pas M. Barese ?

Alessio hoche la tête sans dire un mot, livide. Avez-vous déjà vu un professionnel ayant fait de sa passion son travail perdre la capacité de le faire ? Il est brisé. Et tout ce que je vois, c'est que quelqu'un d'autre est en train de briser mon petit pianiste : c'est son propre corps. Les larmes me montent aux yeux alors qu'on sort de l'hôpital, et je repense à Gina en passant dans les couloirs maintenant familiers. Il faut vraiment que je lui en parle, mais pas maintenant. Il doit d'abord se remettre de ses émotions.

Nous montons dans le premier taxi qui arrive, dans un silence écrasant. Alessio n'a toujours pas ouvert la bouche quand je déverrouille la porte de sa grande maison blanche, et je prends sur moi pour ne pas le forcer à parler. Je le laisse encaisser la nouvelle seul, il viendra me voir quand il aura besoin de moi, je le sais.

Je m'installe sur un des immenses canapés bleu nuit et attrape le livre que j'ai commencé la veille, mais la sonnerie de mon portable m'interrompt rapidement dans ma lecture. Je soupire et fronce les sourcils en voyant le nom de Martin s'afficher à l'écran.

- Oui ? je décroche.

- Nathanaël, tu te fous de moi ?

Je ne réponds pas. Qu'est-ce que j'ai bien pu faire ? Il a découvert la promesse que j'ai faite à Gaëtan il y a maintenant 6 ans ? Un frisson me parcourt des pieds à la tête. Mon ancien meilleur ami reprend d'une voix contenant visiblement la colère :

- Tu avais promis de ne plus te mettre dans les embrouilles. C'est quoi cette histoire avec Alessio ?

Je me fige. Comment est-il au courant ? Que sait-il ?

- Quelle histoire avec Alessio ?

- Tous les journaux en parlent, tu devrais être au courant non ? Attends, j'en ai un sous les yeux ... Nathanaël Lebrun et Alessio Barese : qui est le responsable ? Ou j'en ai un autre là, Quel est le véritable rôle de Nathanaël Lebrun dans l'accident du pianiste ? Tous les journaux sont en train d'expliquer que c'est toi qui l'as poussé par la fenêtre, alors dépêche-toi de contredire ça rapidement en étant convaincant, sinon je te jure que je te retrouve je t'éclate la tête. Je n'ai rien oublié de nos années ensemble, crois-moi.