Rancœur (n.f.) : sentiment durable de haine et d'amertume lié au souvenir d'une injustice.
- Eh bien, vous en tirez une tête ! Venez donc prendre un rafraîchissement à l'intérieur, allez j'insiste.
J'échange un regard amusé avec Martin qui désherbe des plans d'oignons à quelques pas de là, et je grimace en sentant mon dos craquer de façon inquiétante alors que je me redresse. En cinq heures de travail, tous les quatre dans son potager, nous n'avons même pas fait un dixième de tout le travail qu'elle nous a prévu. Et je sais qu'on ne quittera pas cette maison sans avoir fini ce qu'elle a prévu de nous donner. Je soupire en me dirigeant vers la porte d'entrée de la maison, couvert de poussière et de sueur. Avec Martin nous étions de corvée désherbage, Tom et Stéphanie devaient récolter des pommes de terre, et Alessio a dû passer par la case soins. Le soleil commence déjà à décliner à l'horizon, et une bonne nuit de sommeil ne sera pas de refus, même après la sieste de la matinée.
- Nathanaël, si tu emmenais Alessio voir l'étang et visiter un peu le parc ? Je lui ai dégoté un fauteuil roulant, si tu suis le sentier ça devrait aller.
- Vous voulez venir avec ... ? Je commence en me tournant vers mes amis.
- Non, ils vont m'aider avec la cuisine, vas-y. me coupe-t-elle d'un ton plutôt autoritaire.
Je m'exécute en levant les mains en signe de soumission et je vais chercher Alessio dans la maison. Je le trouve, sans grande surprise, assis devant le vieux piano de Monique au milieu du grand salon. Il a l'air déjà beaucoup mieux que quand on l'a récupéré, même si les bleus sur son corps commencent à prendre une teinte presque verte. Monique a réussi à lui trouver une attelle pour sa cheville et a refait les bandages autour de ses mains. Le voir comme ça, obligé d'être poussé dans un fauteuil roulant parce qu'il ne peut plus marcher et parce que ses mains sont en trop mauvais état pour qu'il puisse utiliser des béquilles me brise le cœur. J'aimerais prendre sa douleur, l'aspirer pour le soulager. Malheureusement c'est impossible, alors je m'arme difficilement d'un sourire quand je vais le chercher.
- Où va-t-on ? demande le brun, curieux.
- Tu verras, c'est Monique qui a suggéré cette idée alors sens-toi honoré.
Il souffle d'impatience et je ne retiens pas un petit rire. C'est un enfant quand on lui présente une surprise, et il ne changera sûrement jamais pour ça. Nous traversons la cuisine sous les regards étonnés des mes amis, étonnement que je partage avec eux. Je ne sais pas pour quelles raisons elle veut nous écarter, si c'est pour nous donner du temps à tous les deux ou alors si c'est pour pouvoir parler aux trois, sans moi. Je ne peux m'empêcher de ressentir une pointe de douleur en remarquant à quel point je suis maintenu à part. Je sais que j'en suis responsable, qu'il me faudra batailler pour retrouver ma place dans la bande, si jamais j'y arrive. Je sais que je peux compter sur l'aide de Monique pour ça, mais il faut d'abord que je lui prouve que je ne les abandonnerai pas à nouveau, quoiqu'il arrive. J'arrête le fauteuil roulant au bord de la terrasse de graviers, face au parc.
- C'est beau ...
- Oui, je souffle en réponse. C'est l'endroit le plus magnifique qu'il m'a été donné de voir.
Une légère pente descend de la terrasse dans le parc, parfaitement entretenu par des jardiniers venant tous les jours, où prennent le soleil des arbres plus vieux et majestueux les uns que les autres. Un tout petit cours d'eau traverse la plaine, avant de retourner dans la forêt qui se tient sur notre gauche et où l'étang se trouve également. Des fleurs colorent le parc un peu partout, mélange de rouge, de rose et d'orange. Et au beau milieu de la plaine, mon arbre préféré : un immense tilleul, qui devait déjà être là pour la révolution française, avec un tronc si grand que mes bras n'en entourent qu'un quart. Je vois Alessio totalement admiratif devant le parc, et je le comprends : c'est une véritable merveille, une œuvre d'art. Nous restons quelques instants à contempler le parc d'en haut, remarquant deux renards passer en courant dans l'herbe verte, puis j'entame la descente avec précaution. Les roues fines du fauteuil roulant butent sur chaque caillou et j'essaie d'en absorber le choc avec mes bras mais je vois une grimace de douleur se former sur le visage d'Alessio à chaque secousse, me déchirant le cœur. Je ne veux pas qu'il ait mal. Après trois mètres de descente catastrophiques, j'abandonne et je remonte le fauteuil.
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Ton coeur au bout des doigts
RomanceDeux hommes, deux mondes, deux langages. L'un est pianiste, maladroit avec les mots, détestant tout ceux qui arrivent à les manier. L'autre est journaliste, convaincu que la musique est un art inutile, n'ayant jamais envisagé d'en écouter pour le pl...