Elle était belle, assise sur la plage, face au soleil couchant. Ses longs cheveux or cuivré ondulaient dans la faible brise, semblant refléter les couleurs de l’astre qui allait disparaitre sous l’horizon.
Le ciel, d’un bleu pur de plus en plus sombre, faisait un arrière plan magnifique pour cette fille que je connaissait à peine. À côté d’elle, sa planche de surf, plantée dans le sable, étirait son ombre à l’infini. C’était grâce à ce sport que je l’avais rencontré, il y a maintenant plusieurs semaines. En rentrant d’une cession dont je me souviendrait toute ma vie, je l’avais vu se diriger vers moi, d’un pas décidé. Je ne l’avais jamais vu auparavant, ni à l’université ni nul part ailleurs, cette fille qui ne devait pas dépasser un mètre cinquante-cinq.
Pourquoi m’avait-elle choisi, moi? Elle était venu me voir, et m’avait demandé d’une voix douce et très légèrement rauque: « Est-ce que tu voudrais bien m’apprendre? » Lui apprendre à surfer, alors que je ne l’avais jamais vu auparavant. Mais j’avais accepté.
J’avais appris bien des choses sur elle, depuis ce jour là, j’avais appris à la connaître. Mais il y avait certaines choses que je ne saurais jamais; d’où elle venait, où elle habitait; ce qu’elle faisait ici.
Donc, je lui avait appris à surfer. Enfin… je ne lui avait pas vraiment appris. J’avais surtout appris, moi, qu’elle lisait dans mes pensées. Ou plutôt, elle percevait mes pensées. Cela faisait une grande différence, car ça voulait dire qu’elle n’allait pas chercher dans ma tête, mais qu’elle recevait ce que je pensait. Alors, c’est comme si elle avait fait un copié/collé de toutes mes connaissances de surf, de mes impressions, de mes ressenti pour mieux maîtriser les vagues. Elle les avait copiées dans mon cerveau, collées dans le sien, et les avait appliquées.
Je lui avait prêté une shortboard, et même si la première fois elle s’était une ou deux fois prise une vague, elle avait maîtrisé la technique dès la fin de sa première cession, et comment appréhender les vagues dès la deuxième. Je n’avait jamais vu ça.
Au fond, elle était énervante, elle m’agaçait, à tout réussir dès qu’elle essayait quelque chose.
Elle tourna ses yeux d’un vert émeraude vers moi:
— Tu sais que je t’entends, hein?
Oh oui, je sais. Espèce d’indiscrète.
Elle sourit à l’insulte, d’un sourire qui ne pouvait que m’obliger à ne pas lui en vouloir. Son visage était magnifique, coloré, rond tout en restant fin, aux lèvres roses biens dessinées et aux dents blanches, au nez petit et légèrement retroussé, lui donnant un air légèrement moqueur.
Je ne la voyait jamais à la fac, je ne savais pas où elle logeait, je ne savait pas quel âge elle avait. Je lui donnait entre dix-huit et vingt ans, mais peut-être étais-je loin du compte. Parfois, je la croisais à la bibliothèque, le nez plongé dans des livres incompréhensibles, d’astrophysique, de cosmologie ou de physique quantiques, en anglais, en français, en japonais, en allemand… Parlait-elle réellement toutes ses langues? Et que faisait-elle, dans ces bouquins?
Parfois, je lui demandais de m’expliquer, et alors elle se transformait. Elle était réellement passionnée, et parlait d’une voix exaltée de modification de l’espace-temps et de voyage quantique. Je la coupait, lui rappelant que j’existait, et elle traduisait ce qu’elle venait de dire dans un langage que j’étais en mesure de comprendre.
Surfer, j’y allais soit avec des amis, soit seul. Maintenant, elle m’accompagnait à chacune de mes sorties. C’est aussi ça, je crois, qui m’avait agacé: en un rien de temps, mes amis l’avaient adopté. À mon sens, c’était des gars plutôt beau gosse, et quand je les voyais parler avec elle, j’éprouvait un pincement au cœur.
Bref, elle m’énervait. Elle était belle, intelligente, sympa. Elle l’énervait parce que je ne lui avait pas trouvé de défaut, parce qu’elle était tout le temps joyeuse, parce qu’elle faisait tout mieux que tout le monde, parce que… je ne la comprenais pas. Je n'arrivais pas à saisir ce qu’elle pensait, alors qu’elle lisait en moi comme dans un livre ouvert.
Mais avec elle, j’étais heureux.
Mais avec elle, j’avais peur. Elle qui semblait venir d’un autre monde, j’avais à de rare occasion vu passer des fantômes dans se yeux, des ombres sur son visage. J’avais peur qu’elle retourne dans cet autre monde, où qu’il soit, qu’elle y retourne se battre contre ses ombres et ses fantômes.