7. Rôde à vélo

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Damien quitta le mobil-home de Gabrielle avec un immense sourire aux lèvres. Il avait passé une des meilleures nuits de sa vie. Et la matinée s'était passée dans une ambiance très légère, se remettant du feu qui les avaient consumés avec deux grands verres de jus de pomme, et deux croissants. Ils avaient dû se dépêcher car Gabrielle devait encore assurer après la soirée d'hier au restaurant-bar en y retournant. Leur brève discussion tourna d'ailleurs autour de son job, qui semblait fasciner Damien. Il aurait pu devenir ainsi, mais il était dans un autre monde où sa vie était beaucoup plus crue. Ce qu'elle lui avait expliqué était l'inverse total de ce qu'il pensait. Lui qui voyait l'ennui gagner la plupart du personnel du camping, elle avait rétorqué en riant qu'ils étaient une grande famille et que la clientèle les amusait plus qu'elle ne les ennuyait. Il avait bu ses paroles d'une traite, et à la seconde d'après il avait voulu être à sa place.

Mais il était toujours le vacancier dans l'histoire, et finalement, il préférait être servi que de servir. Il marchait, comme tous les matins maintenant, à contresens de celui dans lequel les autres touristes allaient. En l'occurence, à la plage. Lui, il marchait tranquillement dans ses habits de la veille pour regagner le mobil-home de sa famille. Sa famille, qui devait certainement se demander où il était, même si son père devait avoir sa petite idée. Quand il savait, il ne disait rien, même pas à sa mère. Damien considérait ces devinettes comme des secrets, et il adorait ça. Son père connaissait une grande partie de lui que sa mère et sa soeur ne connaissaient pas.

Il le trouva d'ailleurs, comme toujours, sur la même chaise en plastique blanc sur la terrasse, les yeux et l'esprit rivés vers du Sudoku. De nombreuses fois, Damien s'était demandé comment pouvait-il rester là, noyé dans ses feuilles, pendant des journées entières. Il ne se lassait jamais, même à Tours. À la plage, il voyait des pères porter leurs enfants sur le dos, apprendre à leurs fils à nager, ou bien à pêcher. À la piscine, il en voyait se relaxer dans le bain à remous, ou bronzer. Puis, d'autres en voiture, dans des chaussures de randonnée, parés à des aventures exaltantes. Mais son père était toujours là, dans des activités que les autres jugeaient barbantes quand lui s'amusait autant qu'eux. Son père était unique. Même enfermé des jours entiers dans des mini-jeux qui se ressemblent tous, Damien n'avait jamais ressenti le manque de son père. Il l'avait élevé avec sa mère, dans le calme comme dans le bruit, à la fois dans les mots mêlés et dans ses premiers jouets. Jade non plus ne se plaignait pas de leur père qui ne bougeait pas. Il était fascinant.

― Alors, elle était bonne la pêche ? ce dernier demanda alors que Damien était sur le point de rentrer dans le mobil-home.

― La meilleure depuis longtemps, il répondit sans perdre son sourire, avant de s'enfermer dans la salle de bain.

Après une rapide douche et avoir mis une généreuse couche de Biafine sur ses joues et ses bras, il fut enfin paré à la journée qui commençait. Seul et perpétuel problème : il ne savait pas quoi faire. Il supposa que c'était récurrent quand l'été approchait : on se laisse aller à l'ambiance de l'été et on est porté par cette dernière, on devient un de ces sudistes placides qui se complait dans l'intemporalité de la chaleur et plus rien importe. Damien considérait que ne rien faire était une trahison à l'appel à l'aventure que lançait la fin des cours.

Sur un coup de tête, il enfourcha son vélo posé sur un des pilotis de la terrasse et vagabonda sans but dans le camping. Il dévalait la pente de la piscine et de son mobil-home, s'aventurait sur les emplacements des camping-cars et se risquait à tenter de faire des roues arrières en sachant qu'il avait déjà fait un séjour à l'hôpital pour une tentative qui avait viré à la catastrophe. Il n'en avait pas grand chose à faire, il y avait une chose bien plus apaisante qui lui faisait actuellement tout oublier. L'air qui caressait délicatement ses joues et enlevait à ses cheveux toute la ridigité de son gel était tiède, mais il retirait à Damien une sensation d'humidité considérable et il se sentait très bien. Léger, plein, libre.

dernier [terraink]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant