16. Guimauve

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Damien errait sans but sur la plage de galets. Il faisait froid, ce soir, alors il avait fouillé au fin fond de son grand sac pour trouver un de ces vieux pulls qui prenaient la poussière dans le placard de sa chambre. Aussi, le ciel s'était teinté d'un gris conquérant, ayant vite caché la clarté de la voûte céleste, rendant l'atmosphère plus lourde. Un mélange pesant et léger à la fois, c'était étrange.

Au bout d'une heure à marcher prudemment sur les galets blancs et les quelques étendues de sable, il s'était assis devant l'horizon obscur, absorbé par les perles de lumière qu'apportaient les vagues s'échouant près de ses pieds. Elles semblaient vouloir lui redonner l'éclat de jeunesse et de malice pétillant dans ses prunelles sombres comme la mer en face. Et pourtant, ce n'était pas des colliers de lumière dessinant la courbe des ondulations de l'eau qu'il lui fallait, mais un regard sombre et abyssal.

Thomas n'était pas revenu, cet après-midi. Il avait essayé de passer au travers de son absence, en passant du temps à la supérette avec Gabrielle ou en continuant ses discutailleries débiles avec Hugo, mais il avait été particulièrement désagréable, aujourd'hui. Il s'était montré peu bavard, plus pensif, moins souriant. Il avait même sauté l'heure du dîner, où normalement toute la famille Laguionie débatait jusqu'à tard.

Voilà qu'il était là désormais, inondé d'inquiétude et de tristesse, presque chagriné de ne pas savoir Thomas près de lui. En surface, son visage était juste fermé, si fermé que ses traits étaient crispés, sa bouche ronde n'avait plus l'harmonieuse courbe dessinant un cœur, ses sourcils étaient tombés sur ses paupières en deux lignes droites et alignées. Il avait l'air contrarié.

Oui, peut-être qu'il était aussi en colère, que Thomas ne lui ait pas communiqué son départ. Il suppose qu'il ne voulait pas le rendre triste, mais Damien était persuadé que de toutes les façons possibles d'annoncer une malheureuse nouvelle, aucune n'attirait pas le chagrin. Ainsi allait la vie. Et Thomas ne l'avait pas compris.

Il n'avait même pas gardé une trace de lui. N'importe quelle babiole évoquant son souvenir, aucun numéro de téléphone, juste le vestige éphémère de ses lèvres contre les siennes et de ses doigts dansant sur son corps. Ces vestiges disparaîtraient vite de son esprit et de sa peau, ils seront même remplacés, et Damien ne pourrait même pas y changer quelque chose.

Quelle tristesse de devoir évoquer un amour de vacances lorsque le hasard seulement décide de s'en souvenir.

Il était aussi en colère parce que le cinquième jour précédant son départ venait de se terminer, et il n'avait pas profité comme il se l'était promis. Il n'était pas allé à la piscine, n'avait pas profité des effluves douces des fleurs et des pins, il n'avait juste pas contemplé l'été. Mais il avait l'impression que rien ne l'apaisait ni lui donnait la moindre sensation de plénitude si Thomas n'était pas là. Tout devenait si fade, si énervant, si terne. Et ce sera encore pire quand il aura regagné sa vie placide à Tours. Ses amis paraîtront aussi ennuyeux qu'une chambre blanche et vide, sa maison aura l'air d'une prison et la verdure ancrée dans la ville, morte.

Tout ça parce qu'il était tombé amoureux du premier gars du coin, et que ce dernier était parti comme un voleur.

Damien pensait qu'il pourrait trouver du réconfort en Gabrielle. Elle qui était si douce, si calme, si pure, il était sûr qu'elle pourrait cacher sa tristesse dans des nuages de soutien. Mais s'il le faisait vraiment, il se serait lui-même détesté à l'idée d'être aussi envahissant et égoïste. Comme s'il voulait impérativement qu'elle soit triste à sa place. Il détestait ce genre de personne, s'apitoyant sur son sort au moindre chamboulement dans le cours de sa vie, il serait horrifié d'en devenir une pâle copie.

Rompant le calme apaisant que le chuchotement des vagues dispersait sur la plage, Damien soupira bruyamment. Il avait beaucoup soupiré, aujourd'hui. Peut-être que son père avait raison et qu'il allait exploser. Il n'avait pas le moral pour tourner en dérision ses propres gestes. Alors il faisait mine d'être dénué de second degré. Il s'était d'ailleurs éloigné de son père, pour éviter de terminer profondément agacé par ses broutilles taquines.

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