21. Thomas

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« Comment commencer ce texte...
Le fait qu'on ait passé autant de temps ensemble en seulement quelques jours est probablement la raison pour laquelle je ne sais pas quoi dire. Et tu sais que j'ai aucun mal pour parler d'habitude...
Ça me fait mal de me séparer de toi. Encore plus quand je te revois pleurer dans mes bras (gros fragile). J'ai l'impression qu'on a eu un truc. En tous cas je sais que je t'aime comme j'ai aimé ma première copine. T'es pas une fille, c'est différent, je crois que c'est même plus intense. Tout a été plus intense avec toi.
Je ne sais pas si c'est mieux que notre relation se termine ici, au bout d'une misérable semaine à tes côtés. Si les blagues les plus courtes sont les meilleures, alors peut-être que nous deux aussi. Ouais c'est pas ouf comme comparaison... Mais je suppose que le fait qu'on retrouve nos trains de vie habituels sans que l'autre ne soit dans un des wagons te déchire le coeur. Enfin.. je n'irai pas jusque là mais si tu as déjà pleuré c'est que c'est plus douloureux que ma vision des choses. En tous cas j'adorerais te revoir, tu sais dans deux, trois, même cinq ans ! J'aimerais voir si mon souhait que tu aies tout le bonheur du monde se fasse, tu le mérites tellement. Même si tu fais des trucs pas nets.
Si t'as besoin de moi pour jouer à CS, tu sais que mon pseudo c'est Laink.

Thomas Iturralde, le 26/08/2010. »

Assis en tailleur sur les galets purs de la large plage du Débarquement, cigarette entre les lèvres, Thomas observait avec un sourire l'horizon. Ses boucles tombaient sur son front et dansaient doucement sous l'impulsion lègère du vent. Le jour s'apprêtait à se lever, et il n'avait pas dormi de la nuit.

Il tenait entre ses doigts sa carte postale, raturée, pliée sur un des coins, porteuse des assauts violents de ses réflexions. Thomas, il réfléchissait beaucoup, même pour écrire des pauvres mots sur un papier qui finirait certainement au fond d'un tiroir. Mais soit, peut-être qu'il avait tort et que cette carte postale aurait toujours une grande place dans le coeur de celui à qui elle était destinée. Il l'espérait, moins fort qu'il était persuadé qu'il serait oublié.

Quand un éclair de lucidité lui traversait l'esprit, il parvenait à se dire que Damien était totalement insignifiant dans sa vie. Dans sa minute de vie sur cette Terre existante depuis quatre millards d'années, il n'était même pas une seconde, il était un dixième de tout ce qu'il vivrait. Pourquoi se faisait-il tant de ne plus revoir un gars qui restait un inconnu pour lui ? Quand il serait rentré chez lui, il devrait rentrer dans la vie active, commencer sa classe préparatoire, abandonner les voluptés innocentes de l'adolescence. Bref, il y avait tout son futur qui l'attendait de pied ferme à Tournan, c'était imprudent de confier son attention à quelque chose d'autre.

Puis, l'amour et la fusion de sa relation avec Damien reprenait le dessus et il se disait qu'il n'était pas un gars qui restait un inconnu, ni un dixième de sa vie. Il était bien plus. Et puis, s'il restait pragmatique et que c'était le cas, alors Thomas faisait de cet inconnu et de ce dixième de seconde les plus belles choses qui lui soient arrivés. La temporalité ne compterait jamais pour eux. La preuve, en s'aimant en une semaine, ils l'avaient confrontée, têtes hautes, mentons droits. Avaient-ils compté les secondes à s'embrasser ? Les minutes à découvrir le corps de l'autre ? Les heures passées ensemble ? Le temps s'était confondu, passant d'une éternité à une seconde, à chaque petit instant qu'ils se partageaient.

Thomas alluma une autre cigarette. Ce n'était pas le stress ni la gourmandise, c'était la dernière du paquet et Damien n'était pas là pour la lui donner. Pour porter la flamme vacillante de son briquet à ses lèvres, pour inspirer la fumée qu'il lui jetait au visage, pour le regarder une dernière fois se brûler les poumons. C'était la cigarette de Damien, mais il devait la fumer, lui, comme pour marquer la véritable fin de leur couple.

Il étira un sourire. Un sourire où s'embrassaient tristesse et nostalgie. Mais il était heureux. Heureux d'avoir connu Damien, sa jolie bouche en coeur, son corps d'adolescent, sa répartie et sa passion. Heureux d'avoir eu son âme entre ses mains pour une semaine, et de lui avoir confié la sienne en retour.

Lorsqu'il eût terminé sa cigarette, laissant les cendres grignoter le bâton jusqu'au début du filtre, il plongea une main dans la poche de son short pour en sortir son téléphone. L'unique radeau de fortune de leur lien. Il pourrait jouer l'optimiste et simplement dire qu'ils resteraient en contact avec des messages et des appels fréquents, mais il était certain qu'un jour où l'autre, l'un d'eux oublierait et ce serait vraiment la fin. Il préférait voir la vérité en face, et il aurait aimé que Damien fasse de même, mais il la rejetait. Il savait qu'il pensait toujours qu'ils ne se quitteraient pas les prochains mois, même sous le poids de leurs nouvelles vies, qu'ils pourraient même relier leurs chemins une fois la stabilité obtenue, mais Thomas ne faisait que le regarder avec un sourire triste. Non, ça ne se passerait pas comme ça. Ce qu'ils étaient tous les deux, c'était la plus belle des amourettes de vacances, mais pas une relation à distance exposée à toutes les épreuves possibles et imaginables. Et voilà.

Et voilà.

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