dernier [terraink]

14. El Rio

Damien se dépêchait de quitter le camping. Il avait réussi avec quelques difficultés à se libérer de la poigne autoritaire de ses parents, enfin surtout de sa mère, qui semblait ne plus supporter ses absences nocturnes. Quant à son père, il se rangeait du côté de son fils quand celui-ci commençait à râler, ce qui était une véritable force pour ce dernier. Grâce à lui, il s'extirpait un peu plus facilement des protestations sèches de sa mère.

Et grâce à lui surtout, il pouvait rejoindre Thomas.

Il était particulièrement excité, ce soir. Son cerveau était en surchauffe, mais il savait aussi qu'il allait passer un très bon moment. Au travers de leurs discussions, ils s'étaient découverts à tous les deux une passion commune pour la nourriture. Enfin... tout ce qui ne concernait pas les bons petits plats qui rendaient heureux le corps. Ils avaient longtemps débattu sur diverses plats et leurs origines, leur goût et leurs couleurs, si longtemps qu'ils avaient pu remplacer leurs désaccords par de fragiles affirmations communes.

Il faisait plus frais, par rapport aux précédentes soirées. Un léger vent faisait danser les branches de pins sous les têtes, et quelques nuages tâchaient en petits morceaux le ciel bleu. Damien ressentait difficilement la différence de température, mais néanmoins il sentait très bien l'atmosphère plus légère autour de lui. Sur son chemin, il y avait des gens de son âge marchant dans le sens contraire de sa marche, probablement rejoignant le bar-restaurant. Savoir ce qu'il se passait ce soir, ça lui importait peu.

La journée avait été belle. Et elle semblait se finir dans cette même continuité. Il se voyait déjà vagabonder dans les routes de béton du camping, les mains enlacées dans le silence de la nuit. Il se voyait lui demander comment sa journée s'était passée, puis l'embrasser, cachés par l'obscurité confiante.

Damien trouvait quelque chose de rassurant dans la nuit. Peut-être était-ce l'habitude d'affronter les immenses monstres de béton à Tours, à qui il avait donné toute sa confiance, mais ici il n'y avait rien d'autre que des hauts troncs de pins, et des buissons généreux de lauriers roses et rouges. Les couleurs de l'été resplendissaient toujours sous le clair de lune. Et pourtant, il faisait très sombre, assez pour se cacher avec Thomas. Il voyait se dessiner les décors de leur relation : la plage, et les routes de béton où le temps s'éternise et s'efface.

Quand il passa la barrière d'entrée du camping, et qu'après quelques pas il arriva sur le parking, il le vit enfin. D'un seul coup, ses tendres fleurs pensives furent submergées par une grosse vague déferlante d'écume narquoise, faisant naître dans ses yeux une belle lueur amusée. Thomas n'était qu'à quelques mètres, pas loin de la route fréquentée, juste devant l'entrée du restaurant.

Il aurait pu sentir son cœur se gonfler de joie à sa vue, mais Damien eut finalement une envie de rire difficilement répressible.

Il se dépêcha tout de même de rejoindre son copain, qui le remarqua à ses pas marqués d'entrain. Thomas lui offrit un léger sourire avant de glisser sa cigarette entamée entre les lèvres, tandis que Damien se penchait vers lui, avec ce sourire retenant avec peine un fou rire :

― Salut le gosse de riche !

Thomas prêta un œil désinvolte sur sa tenue. Il ne voyait pas de quoi Damien pouvait parler, il avait simplement la classe. Son cardigan en laine noire était sobre et, lui qui était affreusement frileux, le couvrait assez des frais coups de vent du soir. Il se réchauffa un peu plus en prenant une énième bouffée de cigarette, lançant un regard noir à Damien, puis expirant toute la fumée épaisse sur ses lèvres.

― Salut, le gamin avec un hérisson sur la tête.

Automatiquement, Damien passa ses doigts dans ses cheveux dépourvus de gel. Même sans, ils gardaient une certaine rigidité et étaient toujours constitués en mèches fines comme des aiguilles. Il se décoiffa un peu, inspira le souffle cendré que Thomas lui avait jeté aux lèvres, et le temps qu'il fasse le tour de ses poumons, il planta son regard dans le sien.