Sacha vint à l'université avec moi le jour suivant.
Peu habitué à partager mon lit, je m'étais réveillé tôt, agité par des idées de toutes sortes. Je me demandais si mon invité avait pu se reposer et ce que j'étais censé faire de lui dans les heures à venir. Je ne mis pas longtemps à m'apercevoir qu'il avait aussi les yeux ouverts et cela me poussa à me lever. Puisque je ne dormais plus, je n'avais aucune raison de continuer à le coller.
J'allai remplir la bouilloire et la mis à chauffer. Il se redressa dans le lit en entendant l'eau crépiter. Mes mains, qui avaient attrapé une tasse, se resserrèrent autour de l'objet. Je devais trouver quelque chose à dire – mais quoi ? Après une courte réflexion, je songeai que le plus important était de savoir comment il se sentait.
- Ça va, ta tête ?
- Ouais... J'ai plus mal du tout, répondit-il d'une voix morne.
- Tant mieux.
En vérité, son manque d'énergie ne me rassurait pas. Je me raclai la gorge et tentai de lui transmettre un peu de ma propre vigueur en annonçant le programme :
- J'ai cours à la fac, aujourd'hui.
Je comptais sur sa réaction pour déterminer ce que je devais faire – rester avec lui ou bien l'abandonner pour la journée, peut-être le laisser sortir et lui donner rendez-vous le soir en bas de l'immeuble – mais il ne fit rien de mon information, se contentant de la recevoir :
- Ok...
Un malaise commençait à m'envahir. C'est alors qu'une drôle d'idée me vint. Je m'y accrochai comme à une bouée de sauvetage, et une proposition impulsive jaillit de ma bouche :
- Tu voudrais venir ?
Il braqua son regard sur moi, interdit.
- Où ça ?
- À l'université. J'étudie la philo.
J'eus l'impression d'avoir dit une bêtise : Sacha repoussa vivement les couvertures et sauta sur ses pieds, comme si mes paroles le forçaient soudain à s'activer.
- Encore merci pour cette nuit, mais j'ai pas l'intention de m'incruster. Je t'ai dit que je partirais aujourd'hui.
Je ne cachai pas ma déception. J'avais espéré qu'il aurait changé d'avis.
- Pourquoi t'es si pressé ?
- Écoute, dit-il sans me répondre directement, je te jure que je peux me débrouiller par moi-même. J'ai pas besoin de ton aide.
Son entêtement était parfaitement absurde. Je commençais à déceler en lui un orgueil mal placé qui, un jour ou l'autre, le conduirait à sa perte.
- On a tous besoin de l'aide de quelqu'un à un moment donné. Il va encore pleuvoir des cordes la nuit prochaine, profite de l'appart. Et si tu n'as rien de prévu aujourd'hui, je te propose de m'accompagner à la fac. Ce sera toujours plus sympa que de traîner dehors dans le froid ou de rester enfermé seul dans le studio.
Il soupira par principe, les bras croisés. Je sentais combien il était frustré de ne pas avoir le dernier mot.
- Mais..., marmonna-t-il.
- Quoi ?
J'avais réussi à lui faire entendre raison : cette fois, il n'avait pas décliné mon invitation, mais il n'en restait pas moins sceptique.
- Je peux pas me ramener...
- Si c'est encore cette histoire de métro, tu sais...
- Arrête tes conneries. Je suis pas étudiant, moi, c'est tout.
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Symphonie de Borée
RomanceEtudiant engagé dans la lutte sociale, Martin est un habitué des manifestations. Au cours de l'une d'elle, il blesse sans le vouloir un adolescent. Forcé de ramener chez lui, pour le soigner, cet inconnu du nom de Sacha, Martin ne tarde pas à découv...