Non loin de notre campement, une sorte de haute remise sans murs, adossée au bâtiment qui dissimulait la tente aux regards, recelait d'outils indispensables et de matériel oublié, parmi lesquels notre future baignoire.
Quand j'avais parlé savon avec Eva au cours de notre virée dans les magasins, elle m'avait proposé de venir prendre des douches directement chez l'un ou l'autre de ses collègues. C'était, selon elle, la solution la plus simple. Mais l'idée d'obliger les gens à faire pour moi et Sacha des allers-retours entre le refuge et leur salle de bains me déplaisait. Elle m'avait demandé, ironique, si je préférais faire trempette dans une bassine et je l'avais surprise en prenant sa suggestion très au sérieux.
Je n'eus pas de mal à trouver dans la remise le grand baquet dont elle m'avait alors indiqué l'emplacement. Il était poussiéreux mais pas excessivement sale. J'entrepris de le faire briller au tuyau d'arrosage et à l'éponge imbibée de nettoyant. Pendant ce temps, je mis à chauffer une bouilloire, empruntée au refuge le temps de récupérer la mienne. L'espèce de grange ouverte où je me trouvais avait été pensée pour servir occasionnellement d'atelier de bricolage, de sorte qu'il s'y trouvait une prise électrique murale qui reçut mes meilleurs compliments.
La préparation du bain fut longue. Il me fallut chauffer un certain nombre de bouilloires pour remplir mon baquet. J'avais déjà vécu cette expérience agaçante, une fois, à Paris, quand tout l'immeuble avait été privé d'eau chaude, frappé par un souci de plomberie. Toutefois, ce n'était pas l'impatience qui me rongeait ce matin-là. Ma tête grouillait de pensées, les événements des deux derniers jours pesaient sur ma conscience. À cela s'ajoutait tout ce qu'il y avait à voir et à respirer autour de moi. En levant le nez pour humer les odeurs vertes qui imprégnaient l'air, j'aperçus au-dessus de ma tête un nid accroché à une poutre et imaginai que le printemps le gorgerait de pépiements. Mais je n'étais pas assez en paix pour m'en amuser.
Rien ne disait qu'il serait facile de tirer Sacha de son sac de couchage, où il était retourné s'entortiller après avoir admiré le paysage. Il ne fallait pas que je tienne pour acquise notre réconciliation. Chaque rapprochement cachait une prochaine dispute. Pour détendre l'atmosphère, je décidai de prendre un ton enjoué.
- À la douche ! m'exclamai-je. C'est le moment où jamais, avant que la populace se ramène !
Par chance, Sacha se leva, obéissant, et prit la direction que je lui désignais tandis que j'attrapais dans nos maigres bagages la trousse de toilette et cherchais une serviette de bain. J'espérais seulement que notre espace de douche ne serait pas la source de nouveaux conflits.
Lorsque je le rejoignis, il s'était déjà entièrement déshabillé. J'avais pensé qu'il allait au moins garder son caleçon, comme je comptais moi-même le faire, mais sa peau, hérissée par le froid, était entièrement exposée à ma vue. Je détournai timidement les yeux, pas assez discrètement, cependant, pour que Sacha ne me fasse pas une réflexion, l'air boudeur :
- C'est bon, t'as déjà tout vu...
J'avais exhaustivement touché, mais il n'était pas tout à fait exact de dire que j'avais vu. Je m'abstins néanmoins de développer cette question à l'oral et enjoignis mon Henry Scott Tuke grandeur nature à se couler dans le bain.
- C'est trop chaud, se plaignit-il sans même y glisser un doigt.
- Je peux rajouter un peu d'eau du robinet, si tu veux, mais ça va vite refroidir.
Pour lui prouver qu'il n'allait pas se brûler, je mouillai un gant de toilette et le lui collai sur le corps. Toujours dubitatif, il accepta néanmoins de se risquer dans le baquet. Les reflets de l'eau fumante tissèrent une toile irisée sur ses flancs émergés. Tous les reliefs de ses muscles s'affaissèrent et il finit par pousser un soupir de bien-être.
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Symphonie de Borée
RomanceEtudiant engagé dans la lutte sociale, Martin est un habitué des manifestations. Au cours de l'une d'elle, il blesse sans le vouloir un adolescent. Forcé de ramener chez lui, pour le soigner, cet inconnu du nom de Sacha, Martin ne tarde pas à découv...