Au lendemain de cette aventure, la vie reprit son cours, plus légère. J'avais proposé à Sacha de le présenter bientôt à Raph et de faire une sortie à trois pour qu'ils puissent sympathiser. Il avait accueilli ma suggestion favorablement. J'étais heureux d'être débarrassé de tous mes secrets. Ou presque. En sécurité dans une pochette, rangés au fond de mon sac, les papiers de Symphonie portaient encore mon nom.
Je me trouvais à la cafétéria lorsque je reçus un SMS d'un numéro inconnu. Ce ne pouvait être que le refuge d'Eva qui venait me réclamer les frais d'abandon. Je lâchai mon sandwich et serrai mon téléphone dans mes deux mains, poussé par le besoin de rassembler mes forces.
Le message que je découvris me laissa infiniment perplexe. « Bonjour Martin. On a discuté avec Eva. C'est Ok. On t'attend. »
Je m'étais préparé à ressentir un petit pincement au cœur, à la rigueur un brin de frustration. Ces quelques mots étaient étonnamment conciliants. On me donnait le feu vert, mais je n'étais pas sûr de comprendre pour quoi. Je pris une longue inspiration, tâchai de réfléchir, de sonder mes émotions. Seule m'apparut l'image d'un puits sans fond. Ni fièvre, ni joie : j'étais anesthésié, comme devant une peinture abstraite. J'eus bien l'idée de demander des précisions, mais j'avais toujours été gêné d'avouer mon ignorance aux amateurs de surréalisme. Ils avaient tendance à se moquer de mon inculture.
Deux jours s'étaient écoulés depuis les événements de l'hippodrome et j'avais prévu de raconter ce soir à Sacha ce qui m'était arrivé – en omettant le fait que j'avais piqué une crise pour essayer de garder la jument. Ce message, cependant, remettait tout en question. Je repoussai le moment de parler à Sacha. Il me fallait d'abord tirer l'affaire au clair.
Au début, le mystère ne m'inquiéta que très peu. Incapable de tirer des conclusions, je me conduisis comme si je n'avais jamais lu le message. Les hypothèses, toutefois, se multiplièrent avec les heures, et les doutes grandirent d'autant. Le mardi suivant, le trouble était devenu tel que je me jetai sur Eva à peine clôturée l'assemblée générale.
J'avais trépigné toute la séance. La jeune femme était arrivée en retard et j'avais craint un moment qu'elle ne viendrait pas. La nervosité que j'avais ressentie en la cherchant dans la salle, et en ne la trouvant pas, redoubla lorsqu'elle fit son entrée, au beau milieu d'un discours. J'aurais voulu me lever, l'attraper par le bras et l'entraîner dans un coin pour lui arracher des explications. À plusieurs reprises, je faillis manquer de patience, d'autant plus que l'argumentaire du jour était particulièrement mal ficelé.
Quand je pus enfin rejoindre Eva, elle ne parut pas surprise de me voir accourir. Depuis une demi-heure, je lui lançais des regards furtifs et, même si elle n'y avait pas répondu, j'étais certain qu'ils ne lui avaient pas échappé. Ce fut d'ailleurs elle qui lança le sujet :
- Toi, tu as reçu une bonne nouvelle.
La bonne nouvelle en question semblait la dépiter.
- Qu'est-ce que ça veut dire ?
- Je crois qu'on peut essayer de convenir d'un arrangement provisoire...
Ce « je » semblait bien peu la désigner elle-même, mais je m'en fichais. Mon cœur avait bondi dans ma poitrine et j'écoutai, avide, ce qu'elle avait à dire sans prêter attention à sa mine défaite.
- La situation de la jument étant ce qu'elle est, on lui fera une place au refuge pour sa convalescence. Ça te laissera le temps de réfléchir. Par contre, il faudra vraiment que tu prennes une décision après cette période : soit nous la céder, soit trouver une autre pension.
Je restai sans voix. Ce fut le moment que choisit Raph pour nous rejoindre :
- Salut Eva ! La forme ? Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi vous faites ces têtes ?
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Symphonie de Borée
RomanceEtudiant engagé dans la lutte sociale, Martin est un habitué des manifestations. Au cours de l'une d'elle, il blesse sans le vouloir un adolescent. Forcé de ramener chez lui, pour le soigner, cet inconnu du nom de Sacha, Martin ne tarde pas à découv...