36 - Rêve et réalité

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- J'assurerai financièrement ! m'exclamai-je à brûle-pourpoint.

Je m'humectai les lèvres pour affermir mon assurance et précisai mon argument :

- J'assumerai tout. Même les frais vétérinaires. Le refuge n'aura pas un centime à débourser. Je lui demande juste d'accueillir mon cheval.

- Juste ton cheval ?

- C'est-à-dire...

J'étais retourné en courant aux écuries où, le vétérinaire étant parti, Eva demeurait seule avec Symphonie. Nonobstant le fait qu'elle était au téléphone, occupée à organiser l'accueil de la jument au refuge, je lui avais déballé ma proposition avant d'avoir le temps de changer d'avis, autrement dit avant de me mettre à penser à ce que je faisais. Quand elle comprit que je ne plaisantais pas, sa surprise gonfla ses joues, ses yeux et jusqu'à l'auréole de sa chevelure. Au téléphone, son interlocuteur continuait de prononcer des mots qui se perdaient dans le vide. Mon numéro avait suffisamment frappé la jeune femme pour qu'elle délaisse sa conversation, davantage inquiétée par l'urgence qu'il y avait à faire taire ma folie. J'avais réussi à la rendre confuse, ce qui, apparemment, ne lui arrivait qu'en de très rares occasions. Elle commença par m'opposer des chuchotements brefs et impérieux, puis monta progressivement le volume en découvrant ma résistance. La personne au bout du fil réalisa enfin que les paroles d'Eva ne lui étaient plus adressées. Elle essaya de capter son attention en l'interpelant tandis que, de mon côté, je redoublais d'effort pour garder la jeune femme concentrée sur mon idée.

- Ce serait avantageux pour vous, non ? plaidai-je, la voix forte et assurée.

- Qu'est-ce qui serait avantageux ? entendit l'agent du refuge.

Eva raffermit sa prise sur son téléphone. De l'autre main, elle me repoussa et, pour me forcer à la laisser tranquille, me tourna le dos.

- Rien du tout, répliqua-t-elle. Qu'est-ce qu'on était en train de dire, déjà ?

Mais à présent l'autre réclamait de savoir. Avec un soupir, elle marmonna des explications. Je serrai les dents presque aussi fort qu'elle-même : l'espoir invincible que jusque-là j'avais senti m'habiter vacilla soudain, soumis au jugement d'un inconnu. D'Eva, j'étais en droit d'attendre un peu d'amitié, liés que nous étions par une connaissance commune, mais la faveur que je demandais apparaissait tout de suite beaucoup plus déraisonnable présentée à une personne extérieure. Cependant, j'eus la surprise de sentir le collègue d'Eva alléché par mes promesses pécuniaires.

- Quoi ? Mais non ! s'écria-t-elle.

Avec une extrême vitesse, le balancier pencha pour moi du côté d'une immense déception :

- Rêve pas, il pourra pas sortir plus de cinq cents balles par mois. Il n'a aucune idée des sommes dont on parle. ... C'est complètement ridicule, enfin, c'est une blague ! ... Oui, voilà.

Le collègue m'avait trouvé amusant et, pour le bien de tous, Eva s'appliquait à mettre fin à la plaisanterie. Je suppliai, en désespoir de cause :

- Dis-lui que je pourrai au moins apporter un complément ! Peut-être que Symphonie pourrait avoir une meilleure prise en charge !

Pour être franc, je ne comptais pas sur elle pour faire passer mes arguments ; j'avais crié dans le but que l'autre agent saisisse mes paroles et, un instant plus tard, j'eus la satisfaction de constater que la discussion était relancée. Seulement, Eva aussi s'était faite plus véhémente :

- L'intérêt de la jument ? Quand bien même ! ... C'est sûr que celle-là, on nous l'avait jamais faite. ... Bah oui, il l'air d'y croire, en plus ! ... Ça t'amuse mais... Comme tu dis, c'est plutôt à lui que ça va pas rendre service. ... Ben ouais. ... Quoi ? Je sais pas, je le connais pas vraiment, moi. ... Oh, pitié...

Symphonie de BoréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant