J'ouvris la fermeture Éclair qui scellait l'entrée de la tente et appelai Sacha pour lui montrer l'intérieur.
- Tu vas voir comme on va être bien, ici !
Et pour appuyer mes dires, je me vautrai en travers de l'ouverture. Constatant au bout d'une demi-minute que j'étais toujours seul à me rouler moitié sur un duvet, moitié dans l'herbe, je me redressai, relevant la tête vers mon compagnon raidi. Il était campé sur ses jambes tendues, prêtes à amorcer une fuite. À partir de là, je sus que ça n'allait pas bien se passer, mais je m'entêtai à en conserver naïvement l'espoir tandis que, dans mon esprit, un diablotin qui avait pris les traits d'Eva me hurlait des injures.
- J'ai toujours rêvé de dormir dans une tente ! fis-je semblant de m'enthousiasmer, comme si ça pouvait convaincre Sacha du bien fondé de mon initiative.
- Où est-ce que tu es allé chercher une idée pareille ? m'interrogea-t-il sèchement, sans daigner faire un pas vers moi.
Bon, le moment était venu. J'enfonçai légèrement mes doigts dans la terre, sentant que j'aurais besoin de bonnes racines pour résister à la tempête que mes explications n'allaient pas manquer de soulever. Je changeai mon attitude détachée et insouciante contre une expression de sérieux et, rassemblant mon courage, me lançai dans le vide :
- Sacha, j'avais besoin d'argent pour payer les soins de Symphonie. Alors j'ai...
Il attendait la suite en retenant son souffle.
- J'ai dû rendre l'appartement.
La réponse de Sacha peina à sortir de sa gorge.
- Hein...? T'as fait quoi...?
Presque inaudibles, ses paroles ressemblaient à des feulements. Je me dépêchai de finir mon histoire pendant qu'il en était encore temps :
- L'office est avant tout un lieu de travail, ça n'aurait pas été pratique d'y vivre sur la durée. Alors les gérants du refuge nous ont autorisés à camper sur ce terrain.
Je fermai les yeux dès que j'eus fini de parler et résistai à l'envie de me boucher les oreilles.
- Quoi...? répétait Sacha en boucle. Mais... Et l'université ?
- J'ai assez de connaissances à qui j'ai rendu service pour qu'on m'envoie les cours à distance, répondis-je posément malgré la boule qui commençait à se former dans ma gorge.
- C'est pas possible, dis-moi que c'est faux.
Il m'implorait, mais mon expression resta aussi grave que lorsqu'il m'avait demandé si l'adoption de Symphonie était une blague. Lentement, il réalisa :
- Putain, c'est pour ça que tu t'es mis dans tous tes états, hier, quand je t'ai dit que je connaissais rien aux chevaux et que j'en avais jamais eu... Qu... Qu'est-ce que ça veut dire, Martin ?
Je décelai dans sa voix des sanglots de panique. Sacha n'en était plus à la colère. Il était affolé. Les changements que je lui imposais le terrifiaient.
- Putain, ça veut dire qu'on est à la rue ?!
Immédiatement, je tentai de le calmer, de le faire raisonner :
- Tu exagères. Ok, j'admets qu'une tente n'est pas un habitat conventionnel, mais on ne manquera de rien. Je te jure que ça va bien se passer !
Cependant, l'émotion m'avait gagné aussi, la peur de ne pas réussir à le rassurer. Mes intonations hurlaient le contraire de ce que j'essayais d'exprimer. Pour palier les infirmités de mon discours, j'utilisai les mots les plus solides qui me vinrent à l'esprit :
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Symphonie de Borée
Storie d'amoreEtudiant engagé dans la lutte sociale, Martin est un habitué des manifestations. Au cours de l'une d'elle, il blesse sans le vouloir un adolescent. Forcé de ramener chez lui, pour le soigner, cet inconnu du nom de Sacha, Martin ne tarde pas à découv...