42 - La tente

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J'ouvris la fermeture Éclair qui scellait l'entrée de la tente et appelai Sacha pour lui montrer l'intérieur.

- Tu vas voir comme on va être bien, ici !

Et pour appuyer mes dires, je me vautrai en travers de l'ouverture. Constatant au bout d'une demi-minute que j'étais toujours seul à me rouler moitié sur un duvet, moitié dans l'herbe, je me redressai, relevant la tête vers mon compagnon raidi. Il était campé sur ses jambes tendues, prêtes à amorcer une fuite. À partir de là, je sus que ça n'allait pas bien se passer, mais je m'entêtai à en conserver naïvement l'espoir tandis que, dans mon esprit, un diablotin qui avait pris les traits d'Eva me hurlait des injures.

- J'ai toujours rêvé de dormir dans une tente ! fis-je semblant de m'enthousiasmer, comme si ça pouvait convaincre Sacha du bien fondé de mon initiative.

- Où est-ce que tu es allé chercher une idée pareille ? m'interrogea-t-il sèchement, sans daigner faire un pas vers moi.

Bon, le moment était venu. J'enfonçai légèrement mes doigts dans la terre, sentant que j'aurais besoin de bonnes racines pour résister à la tempête que mes explications n'allaient pas manquer de soulever. Je changeai mon attitude détachée et insouciante contre une expression de sérieux et, rassemblant mon courage, me lançai dans le vide :

- Sacha, j'avais besoin d'argent pour payer les soins de Symphonie. Alors j'ai...

Il attendait la suite en retenant son souffle.

- J'ai dû rendre l'appartement.

La réponse de Sacha peina à sortir de sa gorge.

- Hein...? T'as fait quoi...?

Presque inaudibles, ses paroles ressemblaient à des feulements. Je me dépêchai de finir mon histoire pendant qu'il en était encore temps :

- L'office est avant tout un lieu de travail, ça n'aurait pas été pratique d'y vivre sur la durée. Alors les gérants du refuge nous ont autorisés à camper sur ce terrain.

Je fermai les yeux dès que j'eus fini de parler et résistai à l'envie de me boucher les oreilles.

- Quoi...? répétait Sacha en boucle. Mais... Et l'université ?

- J'ai assez de connaissances à qui j'ai rendu service pour qu'on m'envoie les cours à distance, répondis-je posément malgré la boule qui commençait à se former dans ma gorge.

- C'est pas possible, dis-moi que c'est faux.

Il m'implorait, mais mon expression resta aussi grave que lorsqu'il m'avait demandé si l'adoption de Symphonie était une blague. Lentement, il réalisa :

- Putain, c'est pour ça que tu t'es mis dans tous tes états, hier, quand je t'ai dit que je connaissais rien aux chevaux et que j'en avais jamais eu... Qu... Qu'est-ce que ça veut dire, Martin ?

Je décelai dans sa voix des sanglots de panique. Sacha n'en était plus à la colère. Il était affolé. Les changements que je lui imposais le terrifiaient.

- Putain, ça veut dire qu'on est à la rue ?!

Immédiatement, je tentai de le calmer, de le faire raisonner :

- Tu exagères. Ok, j'admets qu'une tente n'est pas un habitat conventionnel, mais on ne manquera de rien. Je te jure que ça va bien se passer !

Cependant, l'émotion m'avait gagné aussi, la peur de ne pas réussir à le rassurer. Mes intonations hurlaient le contraire de ce que j'essayais d'exprimer. Pour palier les infirmités de mon discours, j'utilisai les mots les plus solides qui me vinrent à l'esprit :

Symphonie de BoréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant